Edouard Peschard

Malo se retourna. Jonas et sa bande venaient de rentrer sur leur territoire. Jonas était un garnement un peu grassouillet aux joues rouges. A voir son souffle court, il parut évident à Malo que grimper jusqu’ici avait demandé à son ennemi un effort herculéen. Les alliés de ce dernier, quatre garçons du même âge, avaient l’air aussi belliqueux que leur chef. Impossible d’échapper à une bagarre. De plus, ils s’étaient introduits sur leur terrain de jeu et cela valait bien une bonne leçon. Jonas en bon chef de bataillon déploya ses quatre soldats et soudain lança le signal de l’attaque. Malo réussit à éviter l’un de ses adversaires et balança son poing dans la mâchoire du second. Un troisième larron lui sauta dessus et l’envoya rouler à terre. Déjà, les deux autres garnements s’étaient relevés et marchaient sur lui. Ewann, qui s’était débarrassé d’un de ses assaillants, sauta sur Jonas. Le garçon riposta et envoya Ewann rouler sur le pavé. Eloane attendait le bon moment. Elle saisit un pot en terre qui était posé sur le muret et le jeta au visage de Jonas, lequel tomba à terre, sonné. Face à la déroute de leur chef, un instant décontenancés, les quatre malandrins relâchèrent leur attention et les deux garçons en profitèrent.
C’est à ce moment précis que du bâtiment ennemi partit un rayon rouge qui frappa Tombelaine. Une explosion retentit. Oubliant toute attitude véhémente, Malo, Ewann, Eloane et même leurs adversaires se ruèrent vers le muret. De là, ils assistèrent à la disparition de l’île et, par la même occasion, à la fin de la menace anglaise sur le Mont. Ils virent les derniers vestiges de Tombelaine retomber à la mer et être engloutis par les flots tumultueux qui vinrent frapper violemment les rochers au pied du Mont. Au loin de ce qui restait de l’îlot, monta une lueur qui brilla avec un éclat s’intensifiant toujours plus alors que les secondes passaient.

Surpris, Eloane et Alban se retournèrent. Une vieille femme était là. Elle sourit, dévoilant une bouche presque édentée.
– Vous admirez notre beau « miroir aux fées ». Vous avez bien raison. Aujourd’hui, la jeunesse ne sait plus reconnaître ce qui est beau. Ici, en des temps reculés, est né l’amour d’un beau chevalier pour une fée. Et je vois que les choses n’ont pas changé.
Eloane rougit.
– Il n’y a rien de plus beau que l’amour, poursuivit la vieille femme. Moi-même, il y a bien longtemps, j’ai aimé, mais il est mort durant la guerre qui opposa la Bretagne à l’Angleterre. Aujourd’hui, je vis en cette terre au milieu de la magie et des fées.
– La magie ? demanda Alban.
– Pas la magie utilisée par les sorcières, dit-elle. Non, mais la magie des lieux !
Devant les regards surpris des deux jeunes gens, elle poursuivit :
– Ce qui fait la magie en ces lieux, ce sont les rencontres que l’on peut y faire. Au détour de chaque sentier, derrière chaque arbre, on peut rencontrer farfadets, fées ou même Merlin. Vous savez, c’est en ces lieux qu’a vécu Merlin. Et si, la nuit, on sait écouter, on peut entendre le fracas des batailles, les vers lancinants des chevaliers pour leurs belles, la plainte des hommes infidèles que Morgane a enfermés dans le Val Sans Retour, ou encore les sanglots de la fée vivant dans cet étang. Ici, on peut communier avec la nature et la nature vous le rendra en vous montrant des choses que l’on ne voit nulle part ailleurs. C’est ça Brocéliande !

Face à eux se trouvait un homme en armure. Cette fois, Malo en était certain, il ne s’agissait pas d’un hologramme. Il semblait bien être fait de chair et d’os. Engoncé dans le métal, il ne paraissait pas être vraiment apte à faire face aux deux garçons. Mais Malo le savait, il ne fallait surtout pas se fier aux apparences. Son visage recouvert par un énorme heaume était invisible. Ne pas voir le regard de cet adversaire était un réel handicap, si adversaire il était, car, jusqu’à présent, il était muet.
– Félicitations, jeunes princes, vous êtes jusqu’ici sortis sans encombre des deux épreuves.
Les premiers mots, prononcés par une voix rauque, comme sortie d’outre-tombe, étaient jusqu’à présent plutôt encourageants. Quoique…
– Mais à présent, voici venu le moment le plus délicat, l’heure du choix.
L’homme se mut alors avec une grande célérité que Malo n’eut jamais crue possible pour un corps aussi lourd. L’instant suivant, le chevalier ceinturait Arthur.
– En effet, un seul d’entre vous sortira vivant de cette épreuve. À toi de décider, Démétrior. Soit tu sors de cette pièce en passant juste cette porte, et alors tu seras le survivant, ou tu te sacrifies et c’est ton frère qui continuera votre quête, seul. Prends ta décision.
Il lança une dague au jeune homme.
– Si tu décides d’en finir, alors utilise cette dague.
Malo regarda son frère, indécis sur le choix à faire.
 

Il se pencha alors et découvrit une espèce de plaque métallique encastrée à la base de l'énorme rocher sur lequel était construite la merveille. Dans le métal, il y avait la trace d'une main et un anneau.