AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Kichigai


— Allons-nous-en.

— Non, dit Emilia ; suis-moi.

Je la suivis jusqu’à sa chambre, davantage soucieux de décamper au plus vite que de savoir ce qui l’attirait là, quand, à peine franchi le seuil de ce lieu intime, avec une rapidité et une coordination de mouvements qu’aujourd’hui, dans la lumière impitoyable à laquelle la mémoire soumet les plus lointains, fugaces et même imperceptibles instants du passé, je veux attribuer plutôt à un talent naturel qu’à une longue pratique, Emilia ferma la porte d’un coup de talon, d’une main me donna une bourrade qui me fit tomber à plat ventre sur son lit et de l’autre tira sur l’élastique de mon caleçon, avec une telle force que ce dernier – qui, au vrai, était loin d’être neuf le jour où il m’avait été offert par un camarade de l’hôpital psychiatrique, lequel avait eu, le jour de son départ, le geste magnanime de distribuer à ses amis venus lui dire au revoir à la grille les quelques biens en sa possession et était sorti tout nu dans la rue, où il fut aussitôt arrêté pour se voir interné de nouveau, perdant ainsi d’un seul coup la liberté, son trousseau et, soit dit en passant, sa grandeur d’âme –, que mon caleçon, disais-je, se déchira comme une voile que la tempête arrache à son mât, me laissant nu sinon démâté. Mais l’épisode ne s’acheva pas là, ce qui l’aurait d’ailleurs rendu inexplicable : car sitôt que je me fus retourné sur le lit pour essayer, à défaut de comprendre la cause ou le but de l’agression, du moins de la repousser, Emilia, qui s’était défaite d’une partie de ses vêtements avec une célérité que je refuse une fois encore d’imputer à l’habitude, se jeta sur moi, me serra dans ses bras, peut-être dans un élan de passion ou bien pour que je cesse de lui envoyer les coups de poing que je lui administrais, convaincu, dans ma défiance et ma modestie, qu’une femme qui se jetait sur moi, connaissant mon physique et la situation réelle de mes finances, ne pouvait agir que dans de méchantes intentions. Le fait est qu’elle me transforma en sujet passif d’abord, actif ensuite et bruyant toujours d’actes que je ne décrirai pas, estimant que les livres doivent être une école de vertu, ne croyant pas que le lecteur ait besoin d’autres détails pour comprendre ce qui s’est alors passé, tenant enfin que si, à ce point du récit, il n’a pas compris, mieux vaudrait qu’il referme ce livre et se rende à l’adresse que je lui fournirai, où, pour un prix raisonnable, il pourra satisfaire sa curiosité et ses autres appétits de plus basse catégorie. Après quoi, Emilia ayant trouvé dans le tiroir de la table de nuit un paquet de cigarettes, nous fumâmes.
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}