La parole est une activité humaine qui varie sans limites fixées à mesure qu'on va de groupe social en. groupe social, car c'est un héritage purement historique du groupe, le produit d'un usage social de longue date., Elle varie comme tout effort créateur varie, pas aussi consciemment, peut-être, mais tout aussi réellement que le font les religions, les croyances, les coutumes et l’art des différents peuples. La marche est une fonction organique, instinctive (mais non pas, bien entendu, un instinct en elle-même). La parole est une fonction non instinctive, acquise, une fonction de culture.
Je veux montrer qu'il n'existe de paradoxe que si le concept de « comportement social » s'applique à des groupes qui agissent en tant que tels, au mépris des individus qui le composent. Seul ce « groupe » mythique est justiciable du mystérieux concept de « comportement social ». Mais nous savons bien que de tels groupes n'existent pas, et le comportement social ne nous parait pas alors avoir besoin d'un autre « inconscient » que le comportement individuel. Il vaut mieux admettre que toute conduite humaine met en jeu les mêmes mécanismes psychologiques, conscients ou non ; et que le mot « social » n'exclut pas plus « inconscient » que le mot « individuel », pour la bonne raison que « social » ne s'oppose pas vraiment à « individuel ». Toute psychologie de l'individu est psychologie de la société, dans la mesure où le psychologique rend compte des conduites sociales.
Pour parler comme Jung, c'est le débit naturel de la libido qui est en jeu. Le moi se voit jeté au milieu de puissances écrasantes et complexes. C'est un sauve-qui-peut désordonné ; il cherche à se créer des liens et des croyances pour survivre, à se persuader qu'il compte pour quelque chose, à sentir qu'il a le dessus. ou qu'il est sur le point de l'emporter. Il y a deux façons d'atteindre à cet accord nécessaire entre la déréliction du moi et l'agressivité du monde, et ce n'est pas affaire de choix, mises à part les compensations secondaires qui couvrent, sans l'ôter, la situation fondamentale.
L'influence des modèles inconscients se manifeste aussi dans la vie économique, et non seulement dans les entreprises, mais dans leurs mobiles. Ce n'est pas toujours le désir d'accumuler les richesses qui est en jeu. On n'accumule, on ne retarde la jouissance du bien que dans la mesure où la société engage à le faire. Les sociétés primitives ignorent souvent l'accumulation du bien. Et même lorsqu'elles éprouvent le besoin d'accumuler, les mobiles qui les y poussent et qui façonnent les méthodes d'acquisition sont souvent tout autres que les nôtres.
Si les hommes agissent comme ils le font, et ne peuvent faire autrement, ce n'est pas simplement parce qu'ils sont faits ainsi, qu'ils ont telle ou telle personnalité, ou qu'ils doivent s'adapter au risque de périr ; c'est surtout parce qu'ils trouvent plus facile et plus esthétique de modeler leur comportement sur des formes plus ou moins organisées, dont nul n'est responsable, que personne ne connaît au juste, et que tout le monde attribue comme à l'espace les trois dimensions, à la nature des choses.
La différence entre les deux comportements n'est pas d'essence, mais de répartition. Il est absurde de dire que le comportement de l'homme est tantôt individuel, tantôt social ; autant dire que la matière obéit alternativement aux lois de la chimie et à celles de la physique atomique ; non, la matière obéit à des lois mécaniques qui sont à la fois chimiques et physiques, selon la description qu'on en donne.
La parole est un trait si familier de la vie quotidienne que nous prenons rarement le temps de la définir. Elle semble aussi naturelle à l'homme que la marche, et à peine moins normale que la respiration. Cependant il ne faut qu'un instant de réflexion pour nous convaincre que cette façon de juger n'est qu'une illusion.