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Citation de Cannetille


De telles contrariétés mettaient votre patience à rude épreuve, les matelots juraient sur le pont, ils maudissaient le chalut, maudissaient la mer et maudissaient le froid. Pourtant, il ne faisait que moins quatre ou moins cinq degrés, l’air était à peine plus froid que l’eau, mais peut-être que proférer jurons et imprécations leur réchauffait le corps. Dans la passerelle régnait une douce chaleur, le commandant ou le second qui étaient de quart avec le matelot à la barre ne juraient pas, ils se contentaient de donner des ordres et des consignes, le visage figé : on file, on laisse aller, on relève, on hisse, on vire. Puis la situation s’est améliorée, grandement, énormément : il suffisait de tracter le chalut entre dix et douze minutes pour qu’il remonte d’un coup à la surface où il jaillissait, comme gorgé d’air. C’était d’ailleurs le cas ; les prises écarlates enflaient lorsqu’elles étaient libérées de la pression des grands fonds, elles atteignaient la surface boursouflées, vomissaient leurs ouïes roses par la gueule comme si elles s’étaient époumonées à gonfler un ballon de baudruche ou à faire une bulle avec un gros chewing-gum. Chacun sait que le sébaste atlantique est d’un beau rouge vif, il ne se contente pas du bleu, du gris clair ou de simples taches jaunes contrairement aux autres poissons. Mais il est également redoutable : ses arêtes dorsales rigides sont suffisamment acérées pour traverser les gants en plastique et l’épaisseur des bottes. Heureusement, il ne nécessite que peu de manipulations, nul besoin de l’ouvrir ou de le vider, on le met tout en entier dans la cale. Nous l’attrapions à l’aide d’un crochet dans le bac rempli d’eau de mer où il était rincé, nous le déposions dans des paniers que nous vidions dans les rigoles inclinées descendant directement à la cale où une partie de l’équipage le réceptionnait. Lorsque le poisson arrivait, il fallait le mélanger avec la quantité de glace pilée adéquate. Livrée avant le départ, cette glace s’était transformée en un gros amas qui ressemblait maintenant à un glaçon. Un matelot équipé d’un pic la réduisait en morceaux, d’autres avaient des fourches avec lesquelles ils envoyaient le poisson dans les bennes, d’autres encore pelletaient une couche de glace sur chaque couche de sébaste, et ainsi de suite. Au fur et à mesure que le tas gagnait en hauteur, on ajoutait des montants de bois à la benne qui se fermait alors d’elle-même puisqu’elle atteignait le sommet de la cale. À la fin, ce n’était pas facile d’y pelleter le poisson, les marins devaient lever leur pelle ou leur fourche au-dessus de leur tête. Mais c’était simplement ainsi et il était inutile de se plaindre, on avait cependant le droit de maudire ce satané sébaste quand on se piquait sur ses arêtes dorsales, alors les jurons vous sortaient de la bouche, accompagnés d’un épais nuage de vapeur.
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