En 1934, au premier congrès des écrivains socialistes, Maxime Gorki désignait le roman policier comme l'ennemi du réalisme socialiste: "Le roman policier est encore le repas mental favori des repus d'Europe. Cette littérature, qui a pénétré les rangs des travailleurs affamés, est l'une des raisons pour lesquelles leur conscience de classe se développe à un rythme aussi lent (...). Dépeignant comme elle le fait la faible valeur que la bourgeoisie accorde aux vies des classes laborieuses, cette littérature contribue à répandre l'assassinat et d'autres crimes..."
Selon Jean-François Vilar les origines du polar remontent au temps de la révolution française. Les "romans terrifiants", comme on les appelait à l'origine, étaient en effet des histoires ahurissantes qui se déroulaient dans des châteaux disparus. Puis, au cours des années 30, le genre se renouvela en France, tandis que parallèlement émergeait aux Etats-Unis le hardboiled, après les désillusions de la Première Guerre mondiale. Le véritable coup d'envoi fut donné avec le lancement de la célèbre Série noire.
Dans sa préface à Brouillard d'automne, de Frédéric H. Fajardie, roman à notre avis paradigmatique des années Mitterrand, Jean-Paul Kaufmann conjecture: "Vichy, l'Occupation, la Résistance : il est le premier à avoir aperçu la nature de ce passé "qui ne passe pas". Pour savoir comment nous avons basculé de Giscard à Mitterrand, il suffit de lire Fajardie. Tout y est: l'effondrement des valeurs, le désenchantement, la perte de l'honneur, la trahison des élites. Toutes les sécurités ont sauté. Face à cette marée nihiliste, l'homme fajardien est seul, assez hardi pour tout entreprendre et assez désespéré pour mater ce monde hostile."
Et pourquoi un tel titre ? En raison de ce qui m’apparaît comme une évidence : quelle que soit la noirceur des romans de mes confrères à travers la littérature mondiale – qu’on songe par exemple au talentueux David Goodis – ce qui est frappant, chez nombre d’auteurs, c’est que même du fin fond du désespoir les personnages luttent encore. Pour leur dignité. Ou leur honneur. La justice. La liberté. Le progrès. La dénonciation du mal. Bref, toutes ces choses qu’un système qui avance masqué cherche chaque jour à vous disputer et pour lesquelles, chaque jour, il faut se battre. Jusqu’à l’extinction des forces. Jusqu’à la mort, qui est la fin de toutes choses… encore qu’elle puisse être exemplaire en sa forme, ce qui constitue l’ultime et sans doute la plus belle des contre-attaques.
(« Le polar français, crime et histoire, ed. La fabrique » Préface de Frédéric H. Fajardie)
« Moins noir que la mort »
À l’instant d’attaquer cette tâche difficile (une préface !), autant avouer la recherche du clin d’œil au Plus fort que la mort du cher Guy de Maupassant qu’il ne me semble pas abusif de classer (et Zola, donc !) parmi les auteurs de littérature noire, étant entendu que certaines atmosphères, situations et études de milieux dédaignés des « belles plumes » (on a les panaches qu’on mérite) participent à l’appartenance au genre.
(« Le polar français, crime et histoire, ed. La fabrique » Préface de Frédéric H. Fajardie)