Louise obéissait et prenait sa plus belle voix pour lire Madame Bovary, de Gustave Flaubert. Elle ignorait tout de cette femme que décrivait ce grand auteur du siècle précédent, mais dès qu’elle entreprit la lecture du roman elle aima cette belle dame qui se languissait d’amour dans sa lointaine campagne. Elle comprenait les émois d’Emma Bovary. Quant à Odette, elle fermait les yeux et appréciait les phrases longues et sensuelles de ce livre que Philippe jugeait trop sentimental.
Elle ne croyait pas à cette histoire d’amour et elle se disait qu’elle ne voulait surtout pas faire la même erreur. Elle ne voulait pas penser qu’un homme viendrait la sauver. Elle avait beau avoir lu des histoires romantiques, elle ne s’imaginait pas être une belle au bois dormant réveillée par un prince charmant. La vie difficile qu’elle avait eue l’avait rendue lucide. Cependant, elle devait reconnaître que, tout naturellement, quand Gisèle lui avait parlé de Gilles, elle avait songé à Alain. Elle s’était demandé ce qu’elle ferait s’il lui demandait de la suivre. Puis elle s’était ravisée. Elle savait bien que ces histoires à l’eau de rose n’existent qu’au cinéma.
Sans être méchant, il profitait de sa puissance et de sa richesse pour assurer sa domination sur les autres. Lui-même avait acquis sa force grâce à des sacrifices dont il faisait payer le prix à ceux qui, à présent, étaient sous son contrôle. Louise était une oie blanche, elle avait beau se débattre sous ce corps qui maintenant la dégoûtait, elle savait qu’elle n’avait aucune chance. Cet homme l’avait accueillie, lui avait donné un toit, elle lui devait le respect et l’obéissance.
Dans dix ans, dans quinze ans, nous n’accepterons plus ce que nous considérons comme normal aujourd’hui. Comment peut-on accepter que des femmes viennent frapper à notre porte pour donner ce précieux trésor qu’elles ont porté pendant neuf mois ? Comment peut-on accepter que d’autres soient contraintes de faire la même chose, simplement parce qu’elles ont perdu leur époux ? Comme si elles ne pouvaient pas élever seules ces petits êtres à qui elles ont donné la vie. C’est abject.
Il existe encore bien des préjugés à leur égard. Parce que leur mère les a placés ici et qu’ils sont nés de père inconnu, on croit qu’ils sont difficiles à élever. On pense qu’ils ont tous les défauts du monde parce qu’ils sont nés dans le péché. Cela n’est pas vrai, mais nous devons tout de même leur apprendre à se présenter correctement. Nous faisons d’eux des enfants distingués. Ils doivent faire honneur à l’éducation que nous leur donnons.
Certes, Philippe a fait des erreurs quand il était au collège. C’était une tête forte, il avait des problèmes avec son père. Il voulait prouver qu’il était capable de faire n’importe quoi, qu’il était invincible. Il souhaitait épater ses camarades qui l’avaient mis au défi de faire de mauvais coups. Il a commis un vol par effraction qui l’a mené en maison de correction, c’est tout.
Les orphelins sont ici en de bonnes mains. Ils n’ont pas conscience que leurs parents les ont abandonnés ! Ce sont des bébés. Ils ne comprennent rien. Pourvu qu’ils aient un toit, trois repas par jour, qu’on change leurs couches, qu’ils dorment dans un bon lit ! Que peuvent-ils vouloir de mieux ?
Les femmes s’émancipent, elles veulent travailler, gagner leur vie, elles ne veulent plus avoir à dépendre d’un époux. Il y a même des gens qui vivent ensemble hors des liens du mariage. Ma communauté a été bonne pour moi. Je n’ai rien à lui reprocher, mais je veux vivre ma vie de femme.
Qui vole un œuf vole un bœuf !