Prune ne résista pas.La mousse odorante, aussi douillette qu'un édredon de plume, l'accueillit en douceur. Malgré ses idées noires, elle sombra dans le sommeil presque aussitôt.
— Voici Ophélie Camero, déclara Pomme. Plus jeune membre de notre confrérie.
Elle désignait une demoiselle, sensiblement du même âge que Prune, assise très droite dans le fauteuil le plus près de la table de couture. Ses cheveux roux et bouclés, tirés en arrière par un serre-tête de métal, dégageait un visage austère, aux yeux très noirs. Derrière elle, Pomme indiqua un homme qui pouvait avoir une petite quarantaine d'années, le front blond un peu dégarni. Il était vêtu d'un pantalon de velours et d'un gilet assorti. Avachi dans son fauteuil, il tripotait sans relâche une petite montre à gousset au bout d'une chaînette.
— Arnold Evans, Maître décrypteur.
Prune s'inclina. Elle s'en voulait de se sentir empruntée face à tous ces regards. Sa bouche refusait de sourire.
Fais un effort. Ta survie et celle des Carnot dépendent des ces gens.
— En face, Clio Tomas, Maîtresse illusionniste.
La femme, brune au teint olivâtre, très élégamment mise et parée de bijoux, souriait avec chaleur. Son nez était pincé d'un lorgnon à l'ancienne, comme celui de Pomme. Sa minceur donnait la sensation que ses bijoux, ainsi que son opulente poitrine, devaient peser trop lourd pour elle. À ses côtés, deux hommes plus jeunes, aussi identiques que l'on pouvait l'être. En fait, ils étaient jumeaux jusque dans leur posture, leur façon de croiser les jambes ou de tourner leur cuillère dans leur tasse de thé. Tous deux arboraient une masse de cheveux gris, parfaitement peignés pour dégager leurs oreilles. Etrangement pointues, elles étaient couvertes d'un fin duvet pâle. Prune songea qu'ils devaient être tout simplement des hybrides, mais leur allure de miroir accentuait cette étrangeté.
— Messieurs Darius et Mordecaï de Griscol, conclut mamie Pomme. Spécialistes en documentation. Maintenant trêve de bavardages : nous avons du pain sur la planche.
— Mes excuses pour cette entrée en matière un peu brusque, je souhaite me préserver, le temps de me présenter à vous. Vous êtes, après tout, plus nombreux.
Une femme en costume tailleur entra à pas mesurés. Tout dans son attitude, du sourire à l'ondulation de ses hanches, était calculé pour séduire. De beaux yeux ambrés, des cheveux impeccables, Léonie songea qu'il s'agissait du genre de femme à qui elle collerait volontiers une mornifle ou deux. Un pic de douleur irradia jusqu'à la moelle de ses os, l'empêchant de se concentrer pendant un temps. Elle s'entendit haleter, craignant de perdre connaissance. Dans un brouillard de souffrance, elle discerna quelques mots :
— Sabrine de Sienne, effaceuse. Rassurez-vous, je ne suis pas ici pour vous nuire, pas plus qu'à la jeune Prune.
Mon rêve de gloire, de voir mon frère devenir un héros, se brisait en mille miettes. Nous étions les winners, nous devenions les losers. Derrière cette illusion perdue ne restait qu'un paysage d'angoisse et d'attente.