Pourquoi ne dit-on pas l'amour avant qu'il nous étouffe?
Dire les mots qui viennent, au moment où ils viennent, sans les sous-entendre ni en avoir honte?
Est-ce la seule crainte d'être blessé qui nous rend parfois si évasif qu'on en est cruel?
Que de tourments, que de larmes on s'épargnerait au cours d'une vie en disant aux êtres aimés une simple vérité, celle de l'amour qu'on leur porte.
En pénétrant dans l’appartement, Héloïse avait immédiatement reconnu cette odeur caractéristique des habitations anciennes, mélange de naphtaline et de cire d’abeille. Alors sa mémoire l’avait, en l’espace d’un instant, ramenée loin en arrière, lorsque petite fille elle allait rendre visite à sa grand-mère dans son appartement des Buttes-Chaumont.
Chez Madame Vauzanges, le style était fixé dès la vaste entrée. Se faisant face sur les murs, un Kandinsky côtoyait un Vasarely. Disposés chacun autour d’une console en marbre, une paire de fauteuils Art Déco en palissandre accueillait les visiteurs.
Impressionnée, Héloïse suivit Françoise dans le salon de réception. Dans la pièce aux murs clairs ornée de miroirs en verre églomisé typiques du style Années 1940, les meubles étaient choisis avec soin en évitant l’effet d’accumulation.
« Bien que ce ne soit pas du tout l’heure, dit Françoise en bougonnant, je vais faire du thé. ». Puis elle s’éclipsa en refermant la porte vitrée derrière elle.
« Asseyez-vous sur ce canapé, Mademoiselle. Ne soyez pas timide. Je suis une très vieille peau mais ça n’est pas contagieux. »
Héloïse ne put réprimer un mouvement de surprise en découvrant Madame Vauzanges assise bien droite, les jambes croisées sur un confortable fauteuil club en cuir. Trop maquillée comme le sont souvent les vieilles élégantes, bijoutée et vêtue d’un tailleur Chanel rose pâle et chaussée d’escarpins vernis noirs à bouts carrés et petits talons, l’auguste voisine semblait parée pour un cocktail mondain. Ses cheveux impeccablement bouclés teints en roux foncé, contrastaient avec la pâleur de son front. Elle fixa sur Héloïse ses yeux aigue-marine, d’une pétulance étonnante. Héloïse balbutia un remerciement et s’assit sur le rebord du canapé.
La mort repousse, tient à distance. Tout à coup, on devient incapable de toucher l’être que l’on a tant aimé, chéri. Comme si déjà l’on établissait une frontière entre les vivants et les morts.
Tu ajoutes de l’eau à mon moulin. C’est exactement ce que décrit Odette, en substance. On voyait les juifs se faire arrêter, disparaître, et tout le monde s’en foûtait, en somme.