Ellen Stuart

Je ris, c’est plus fort que moi. Je dévie la tête, en la fixant de biais. Son regard tendre transperce le mien. Le grand sourire plaqué sur son visage m’achève.

Pendant longtemps, j’ai vécu aux crochets d’un homme qui a détruit jusqu’à la moindre parcelle de joie qu’il y avait dans mon cœur. Chaque fois que j’espérais retrouver celui dont j’étais tombée amoureuse, il remettait le masque de ce monstre qui me terrifiait et me faisait horreur, puis je dégustais dans tous les sens du terme.

Je ne sais pas ce qui est arrivé entre nous exactement, mais depuis qu’on est passé aux choses sérieuses, je suis incapable de recommencer. Dire que je n’ai pas apprécié coucher avec lui est un euphémisme. C’était il y a des semaines et on n’a jamais remis ça, à chaque fois, soit je me suis défilée en trouvant un prétexte idiot ou j’ai fait en sorte de ne pas être seule avec lui. Je suppose que tout va se tasser et qu’on pourra remettre ça, une fois que j’aurais oublié le désastre qu’a été notre première fois ensemble. Bon, le mot « désastre » est un peu fort, mais se faire chopper pendant l’action, ce n’est pas ce que j’appelle quelque chose de mémorable – ou plutôt si, mais dans le mauvais sens – je crois que je n’oublierais jamais.

Pour la première fois depuis longtemps, j'ai l'impression que la vie a enfin du sens.

- Je t'aime, Hanna McAlister. Tu es complètement folle de croire que je t'abandonnerais, parce que t'attends un bébé. MON bébé. Ces projets, je les faisais uniquement pour nous. Je ne vois pas l'intérêt de partir à New York ou je ne sais où sans toi. Ok, je n'avais pas vraiment prévu cette option aussi tôt. Tu sais bien que penser à l'avenir, pour moi, c'est assez récent, mais s'il y'a bien une chose dont je suis certain depuis pas mal de temps, c'est que je ne peux pas vivre sans toi. Alors, si tu désires le garder... on le fera ensemble. Tu ne te débarrasseras pas si facilement de moi.

Comment les gens peuvent-ils réussir à être heureux dans un monde pareil ? Ça me dépasse parfois. Suis-je la seule à vivre un enfer au quotidien ? Lorsque je scrute les visages des uns et des autres, j’ai l’impression de ne rien comprendre à la vie, d’être seule sur Terre pendant que chacun prend le train en marche.
Moi, je suis là à regarder la vie défiler et à éviter toutes les catastrophes possibles sur mon chemin, pour ne surtout pas me donner de raisons d’en finir avec ce carnage qui semble sans fin. À cacher comme je peux ce qui me ronge, m’empêche de respirer et même parfois de dormir la nuit.
Je remarque que mon casier est dépourvu de petits papiers, or, je ne me leurre pas, la matinée ne fait que commencer. Mon bourreau n’a sans doute pas eu le temps de s’entretenir avec ses sous-fifres pour choisir le moyen de me blesser davantage. Elle n’a toujours pas compris avec son cerveau de moineau – et encore, ces pauvres bêtes ne méritent pas cette insulte – que je suis déjà à terre depuis des lustres. Il faut croire que s’acharner est plus réjouissant pour elle.
Je me dirige vers la salle où j’ai cours en première heure pour patienter devant cette dernièr

Le pire, c’est que même si Neva a foutu ma vie en l’air, je n’arrive pas à lui en vouloir. Je l’aimais trop pour ça. Elle était ma putain de lumière, mon tout. Elle me faisait péter des câbles comme pas possible. Cependant, elle était la personne que j’aimais le plus au monde. En six ans, ça n’a pas changé. Neva est gravée en moi, sur ma peau, tout comme cette inscription sur cette foutue pierre tombale, et jamais elle ne s’effacera.

Elle a beau être mon aînée de trois ans, à cet instant, elle ressemble à une petite fille malheureuse et ça me fait mal. Ma sœur n’a jamais blessé personne, bien au contraire. Avant toute cette histoire, elle avait des tas d’amis. Les gens de cette ville ne la dévisageaient pas. On ne l’insultait pas parce qu’elle héberge un soi-disant violeur. On la traitait avec respect. J’ai foutu sa vie en l’air.

- Jamais de la vie je ne te détesterai, Hanna. Et arrête, s'il te plaît, de croire que je suis comme enchaîné à vous, par obligation. Je t'aime plus que tout, et... j'aime déjà notre fils, même si je ne sais pas encore qui il est, ni ce qu'il deviendra. Oui, c'est vrai, je ne m'imaginais pas devenir... père avant mes vingt ans, et bien sûr que ça me stresse un peu, mais ce n'est pas dramatique. Quand tu y penses, ce n'est peut-être pas si mal, car on pourra en profiter plus longtemps. Je souhaite qu'on avance ensemble, tous les trois. Évidemment que tu seras fatiguée et de mauvaise humeur, tout comme je le serai probablement aussi. Mais on sera là, l'un pour l'autre, on se soutiendra. On vivra, on ressentira et c'est tout ce dont j'ai besoin... de toi, Hanna et de notre bébé. Ma formation ne prendra pas si longtemps et mes parents souhaitent nous aider. Ne te soucie pas de l'argent, j'ai des économies et nous ne seront pas seuls. Je te promets que je serais là jusqu'à la fin.

Harper est du genre discret en ce qui concerne les effusions de sentiments. Il ne m’embrasse jamais en public, il dit que c’est personnel et qu’il ne souhaite pas me partager aux yeux du monde. J’ai un peu de mal à comprendre ce qu’il veut dire par là, mais du moment qu’il est tendre avec moi lorsque nous ne sommes rien que tous les deux, ça ne me dérange pas.