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Citation de Charybde2


L’histoire de l’autodéfense est une aventure polarisée, qui ne cesse d’opposer deux expressions antagoniques de la défense de « soi » : la tradition juridico-politique dominante de la légitime défense d’une part, articulée à une myriade de pratiques de pouvoir aux diverses modalités de brutalité qu’il s’agira ici d’excaver, et l’histoire ensevelie des « éthiques martiales de soi », d’autre part, qui ont traversé les mouvements politiques et les contre-conduites contemporaines en incarnant avec une étonnante continuité une résistance défensive qui a fait leur force.
Je propose ici d’arpenter une histoire constellaire de l’autodéfense. Tracer cet itinéraire n’a pas consisté à piocher parmi les exemples les plus illustratifs, mais plutôt à rechercher une mémoire des luttes dont le corps des dominé.e.s constitue la principale archive : les savoirs et cultures syncrétiques de l’autodéfense esclave, les praxis d’autodéfense féministe, les techniques de combat élaborées en Europe de l’Est par les organisations juives contre les pogroms…
En ouvrant cette archive, qui compte bien d’autres récits, je ne prétends pas faire œuvre d’histoire mais bien travailler à une généalogie. Dans ce ciel-là, fort sombre, la constellation scintille du fait des échos, des adresses, des testaments, des rapports citationnels qui relient de façon ténue et subjective ces différents points lumineux. Les textes majeurs qui constituent le socle de la philosophie du Black Panther Party for Self Defense rendent hommage aux insurgé.e.s du ghetto e Varsovie ; les patrouilles d’autodéfense queer sont dans un rapport citationnel avec les mouvements d’autodéfense noire ; le ju-jitsu pratiqué par les suffragettes anarchistes internationalistes anglaises leur est accessible en partie du fait d’une politique impériale de captation des savoirs et savoir-faire des colonisé.e.s, de leur désarmement.
Ma propre histoire, mon expérience corporelle ont constitué un prisme à travers lequel j’ai entendu, vu, lu cette archive. Ma culture théorique et politique m’a laissé en héritage l’idée fondatrice selon laquelle les rapports de pouvoir ne peuvent jamais toujours complètement se rabattre in situ sur des face-à-face déjà collectifs, mais touchent à des expériences vécues de la domination dans l’intimité d’une chambre à coucher, au détour d’une bouche de métro, derrière la tranquillité apparente d’une réunion de famille… En d’autres termes, pour certain.e.s, la question de la défense ne cesse pas quand s’arrête le moment de la mobilisation politique la plus balisée mais relève d’une expérience vécue en continu, d’une phénoménologie de la violence. Cette approche féministe saisit dans la trame de ces rapports de pouvoir ce qui est traditionnellement pensé comme un en-deçà ou un en-dehors du politique. Ainsi, en opérant ce dernier déplacement, j’entends travailler non pas à l’échelle des sujets politiques constitués, mais bien à celle de la politisation des subjectivités : dans le quotidien, dans l’intimité d’affects de rage enfermés en nous-mêmes, dans la solitude d’expériences vécues de la violence face à laquelle on pratique continûment une autodéfense qui n’en a pas le label. Au jour le jour, que fait la violence à nos vies, à nos corps et à nos muscles ? Et, eux, à leur tout, que peuvent-ils à la fois faire et ne pas faire dans et par la violence ?
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