Je n'ai jamais dirigé un non voyant auparavant, et j'ai la mauvaise surprise de découvrir que ce n'est pas si facile. Le monde que nous tenons pour acquis est en réalité parsemé d'obstacles dangereux et de pièges à tous les coins de rue.
Le violon de Charlotte peint les lumières lentement au-dessus de la forêt verte, et la colore d’un cuivre éblouissant. Je vois la rivière blanche et ses méandres s’agiter en contre-bas, elle brille quand la lumière la touche. Je découvre des ruines là où elle s’insinue. Son violon tient une note grave et lisse puis il explose – son archet s’épanouit contre les cordes – et je vois le soleil s’évader dans une couronne de rouge flamboyant et de jaune rayonnant. Mon cœur se serre, la douleur est si vive que je peux à peine respirer. Charlotte joue l’aube, chacune des notes est pareille à un pinceau qui dessinerait le spectacle qui se déroule devant nous. Les notes rougeoient et explosent comme des feux d’artifice autour de moi. C’est une cacophonie de sons et de lumières, et les larmes me montent aux yeux. Je vois le crépuscule et je sais, avec une certitude atroce, qu’il s’agit du seul moyen que j’ai de le voir dorénavant. Mes anciennes compagnes, l’amertume et la souffrance s’évaporent.
L'embrasser était bien plus intime que tout ce que j'avais pu faire avec d'autres cette dernière année.
Perdre tout cela a été terrible. Mais j’ai perdu autre chose, une chose dont j’avais un besoin vital, autant que d’air, de nourriture ou d’eau.
— De quoi parlez-vous ?
— Du rush. De l’adrénaline. Ce frisson que vous ressentez quand vous effleurez la mort, comme si la vie ne tenait qu’à un fil. Je n’étais pas fasciné par la mort, mais j’aimais la narguer. Quand je sautais d’un avion, ou que je skiais sur des pistes diamant noir…
— C’était bien ?
— Tu ne peux pas le dire ?
— Ne fais pas le malin, je suis néophyte.
— Ça ne s’est pas vu, affirma-t-il, en tenant ma mâchoire et m’embrassant, puis croisant mon regard, inébranlable. Silas, merde, c’était parfait. Je n’ai jamais…
Il déglutit.
— Je n’ai jamais eu l’impression que c’était… réciproque, dans le passé, tu vois ?
Il secoua la tête lorsque j’écarquillai les yeux de colère et d’inquiétude.
— J’ai consenti, j’ai donné mon accord. Mais ce n’était pas ce que ça aurait dû être. Jamais. Jusqu’à ce soir.
Je n’avais pas de mots pour décrire l’émotion qui m’envahissait, piquait mes yeux et serrait ma gorge. À la place, j’embrassai Max, fortement et profondément, et je le serrai fermement. Pour le protéger. Je jurai de me charger de la prochaine personne qui essayerait de lui faire du mal.
J’aurai dû savoir que je serais cette personne.
Tu es la fille de chacune de mes chansons.
Un seul regard, un sourire ou un mot pouvaient altérer le cours de la vie de façon radicale.
Il se trompe. Je ne me dépasse pas pour m’en sortir. Me sortir de quoi, d’ailleurs ? Il n’y a pas de lumière à la fin du tunnel, qu’elle soit figurée ou non. Je me dépasse, car cette putain de vulnérabilité est intolérable.
Je songeais à ma vie et comment une simple décision peut la faire basculer définitivement vers le bonheur. Une réaction en chaîne. Une série de portes ouvertes, l’une après l’autre, qui conduisent à cet instant. Le bonheur.
Parfois quand on affronte des moments difficiles, le mieux est de ne pas y penser et de se concentrer sur autre chose. D'y mettre toute son énergie. D'aller vers ce qui te rend heureux.