Emma Theriault

Et vous ? s'exapéra Madame Samovar. Qui va vous épargner ?
Nous, les femmes, nous nous plions toujours en quatre pour ceux que nous aimons sans nous soucier de ce que nous ressentons, affirma-t-elle en secouant doucement la main de Belle. Vos sentiments sont aussi importants que les siens. Sinon plus.

-J'ai vécu dans l'obscurité pendant dix ans avant que tu me donnes une raison de chercher la lumière, murmura-t-il

Peut être était-il temps que des hommes comme eux comprennent de quoi une femme est capable.
Belle

- Je porte en moi la sagesse de toutes les reines, de toutes les souveraines que j'ai aidées. C'est pour cela que certains m'appellent la Voix de la Reine. Mais en vérité, je n'ai la forme de personne. Je prends l'apparence la plus adaptée pour ceux qui ont besoin de moi. Je suis un écho du pouvoir de la première reine, mais je suis aussi toutes celles qui sont venues après elle. Je suis leurs faiblesses et leurs forces, leurs peurs et leurs convictions, leurs erreurs et leurs triomphes.

Une roturière devenue princesse était évidemment une nouveauté qu'aucun des convives n'avait encore rencontrée.

Belle se tourna sur le lit pour faire face à Léo. Elle prit le temps de choisir soigneusement ses mots:
- Je n'approuve certainement pas la violence comme méthode pour arriver à ses fins. Mais j'ai l'intime conviction que l'égalité est un combat qui mérite d'être mené.

- Parce que j'ai été maudit.
Ce n'était pas une question. Belle savait qu'elle devait marcher sur des œufs.
- C'est plus que ça. La malédiction t'a forcé à changer, oui, mais ta transformation ne tient qu'a toi.
- Pas qu'à moi.
Il s'approcha d'elle, lui prit les mains et les posa sur sa poitrine. Belle sentit ses joues rougir, mais elle s'appuya contre le torse chaud de Léo. Le prince lui tint le menton et l'embrassa. Belle frissonna malgré la douceur estivale. Puis elle passa les bras autour de son cou, emmêla ses doigts dans ses cheveux, comme pour l'empêcher de s'éloigner. Chaque baiser était comme leur premier : capable de la briser et de guérir tous ses maux en même temps. Léo poussa un léger grognement. Elle s'écarta et plongea son regard dans ses yeux bleus radoucis.
- J'ai vécu dans l'obscurité pendant dix ans avant que tu ne me donnes une raison de chercher la lumière, murmura-t-il.
Ils s'embrassèrent encore.

Le hasard de la naissance ne devrait pas déterminer qui est pauvre ou qui ne l'est pas. C'est aux dirigeants qu'il incombe de faire tout leur possible pour améliorer la vie de tous, à commencer par ceux qui ont eu moins de chance que nous.

- Je pense parler au nom de tous, y compris du roi, en affirmant que vous n'avez pas les idées claires.
- Et je parle pour moi et moi seule quand j'affirme que vous vous trompez. Avez-vous oublié que je suis une roturière ? Que j'ai grandi dans un village pauvre avec ces mêmes personnes que vous dénigrez ? Je n'ai pas peur d'eux, mais je crains un homme riche qui pense que la justice est un concept mouvant et que l'innocence peut s'acheter.

- Je ne suis pas omnisciente, Belle. Ce que je sais, je l'ai vu dans de vagues visions. Une couronne sur ta tête, ton royaume en flammes, l'Europe qui s'écroule sous la violence de cette révolution. Tout ce que je peux faire, c'est attendre et voir si chacun des pas que tu fais obscurcit ou éclaire ce que je vois de l'avenir. Je ne peux pas te dire qui croire ou ne pas croire ; ces décisions t'appartiennent. Mais une chose est claire depuis le début : toutes les visions qui conduisent à un avenir meilleur commencent avec toi.

- Me perdre moi, dit-il en lui serrant la main plus fort. Me perdre dans le passé, me perdre et redevenir la Bête, oublier qui je suis à cause d'une menace ou d'un adversaire que je ne comprends pas.
Belle comprenait ses inquiétudes, elles les partageait avec lui. A la différence qu'elle ne craignait pas de se perdre dans son passé, mais plutôt dans son avenir. Elle redoutait que la vie avec Léo l'oblige à devenir quelqu'un qu'elle n'était pas. En le rassurant, elle se rassurait elle-même.

- C'est pour cela que j'ai accepté, confessa Belle. Je voulais lui épargner ces inquiétudes.
- Et vous ? s'exaspéra Mme Samovar. Qui va vous épargner ? Nous, les femmes, nous nous plions toujours en quatre pour ceux que nous aimons sans nous soucier de ce
que nous ressentons, affirma-t-elle en secouant doucement la main de Belle.
Vos sentiments sont aussi importants que les siens. Sinon plus.
Belle hésita.
- Vous avez sans doute raison.
- J'ai toujours raison, ma chérie, dit Mme Samovar en souriant.

J'ai vécu dans l'obscurité pendant dix ans avant que tu me donnes une raison de chercher la lumière, murmura-t-il"

- L'amour nous pousse parfois à commettre des imprudences.

- C'est pour cela que j'ai accepté, confessa Belle. Je voulais lui épargner ces inquiétudes.

- Et vous ? s'exaspéra Mme Samovar. Qui va vous épargner ? Nous, les femmes, nous nous plions toujours en quatre pour ceux que nous aimons sans nous soucier de ce que nous ressentons, affirma-t-elle en secouant doucement la main de Belle. Vos sentiments sont aussi importants que les siens. Sinon plus.

L'auditoire exulta à l'unisson, ou presque. Juste à côté de Belle, un homme cracha au pied de l'ouvrier et réduisit les curieux au silence. Il ne semblait pas du tout à sa place, avec sa perruque blanche et sa culotte.
- Espèce de canaille ! Siffla-t-il.
Il ne se passa qu'un ou deux battements de cœur avant que la foule n'explose et ne s'avance vers le coupable. L'homme sur le pupitre leva les mains.
- Du calme, mes amis, implora-t-il avant de baisser les yeux vers la perruque. Quand la France sera débarrassée de la noblesse, c'est la canaille du tiers état qui survivra, monsieur.

- Tu ne dois pas attendre que les autres sauvent Aveyon. Crois en ton instinct. Deviens la reine que tu es capable d'être.

- On t'a déja dit que tu étais brillante ?
Belle repensa à son enfance, quand tout le monde la trouvait étrange.
- Pas avec ces mots, non.
- Eh bien, moi, je te le dis : tu es brillante !

Peut-être était-il temps que des hommes comme eux comprennent de quoi une femme est capable.

- Certains disent que Marie-Antoinette n'a que faire des souffrances du peuple. Quand on l'a informé que les paysans affamés ne pouvaient plus acheter de pain, elle aurait suggéré qu'ils mangent de la brioche à la place.

- Je ne veux pas de couronne. Je n'en ai jamais voulu.
- Je sais. Et c'est peut-être la raison pour laquelle tu es la plus à même d'en porter une.