En 1977, le trompettiste et musicien américain avant-gardiste Lester Bowie, alors en tournée en Europe, décide de faire une pause dans sa carrière musicale. Il est temps pour lui, estime-t-il, de partir à la découverte de ses "racines noires", en Afrique. Sans grandes connaissances du continent, il choisit un peu au hasard la destination de Lagos, au Nigeria, pays anglophone de l'Afrique de l'Ouest. Peu de temps après son arrivée, on lui conseille de se rendre à la "Kalakuta Republic", le lieu de vie communautaire où est établi Fela Anikulapo Kuti, le fondateur de l'afrobeat. Lester Bowie n'a jamais entendu parler de Fela ni d'aucun musicien africain contemporain. En revanche, le maître des lieux, lui, le reconnaît immédiatement : "Ah, Lester Bowi, tu fais partie de l'Art Ensemble of Chicago." Après quelques mesures de blues jouées pour faire musicalement connaissance, Fela ordonne qu'on aille chercher les bagages de l'Américain pour qu'il s'installe à demeure. Lester Bowie restera près d'un an dans l'antre de Fela Kuti, jouant à ses côté, enregistrant de nombreuses chansons en studio et palabrant des heures durant autour de la musique, de ses différents usages spirituels, thérapeutiques et politiques, et des liens qui unissent entre elles toutes les ramifications de la Great Black Music...
Le rap est donc un "moyen", d'autant plus attractif que rapper ne demande que l'exercice de sa voix. A défaut d'instruments ou de deejay, le timbre va permettre de produire des sons au travers de la technique du beatboxing. Malgré la modestie de son procédé, le rap va devenir un média donnant la parole à une multitude silencieuse généralement considérée comme inaudible et surtout "incapable de se représenter elle-même", pour reprendre une formule d'Edward Said. Les rappeurs vont divertir mais également narrer des histoires - ils vont "écrire des images", dira Kamnouze - souvent très crues et sans ambages (...), pour traduire une émotion et susciter l'indignation. Pour le rappeur Chuck D, le rap doit même être considéré comme le "CNN de la communauté noire". Derrière cette comparaison provocatrice, le leader du groupe Public Enemy va souligner la capacité des dominés à créer leurs propres appareils idéologiques, capables de concurrencer les modes de narration dominants dans la société américaine.
À l'heure où la question noire fait l'objet en France d'un regain d'intérêt et de publication de plus en plus nombreuses, ce livre voudrait à son tour contribuer à cette dynamique, et mieux introduire en France la richesse de la pensée de cet éminent orpailleur de la condition noire et de la chose humaine : Ralph Waldo Ellison. (14)