" Garance , Gaia. L a même initiale .J'avais juré de venir à son enterrement , une fois , au début de nos conversations .Je croyais qu'elle plaisantait : nous nous connaissions à peine .Elle avait copié-collé ce serment dans le disque-dur de son ordinateur qui me l'avait renvoyé le jour de sa mort comme s'il venait d'elle alors je savais qu'elle n'étais plus de ce monde .Un logiciel "souviens toi " inventé par un informaticien amoureux qu'elle avait détourné de son application première .La même initiale . Garance, Gaia. On peut se contenter des commencements .La fin , je connaissais la fin .
Voulais je vraiment connaître le reste ?
J’ai raconté notre rencontre: sur Facebook, à travers des photos, des sites, des vidéos sur YouTube, des conversations sans importance pour commenter la dernière liaison d’un acteur ou la tête boursoufflée des dix plus beaux ratages de la chirurgie esthétique. Mon départ sur un « coup de mail », comme disait ma fille, pour un voyage à travers tous les mondes. Finalement, je ne la connaissais pas vivante, ai-je conclu.
— Mais morte, quelle présence, elle a dit.
Elle tenait toujours le vase sur ses genoux.
J’ai raconté là-bas. La mer verte, l’océan, la rivière qui s’enfonce dans les vagues. Les femmes, Mary Milena, les enfants et parfois, dans la brume, au pourtour de l’horizon, les hommes. Nikos. Alan.
— Certains sont doux.
Elle a dit oui puis elle a rajouté :
— Si doux.
Et les ponts, les camions de tomates rouges comme des coquelicots, des fleurs fanées jetées dans une bassine noire, la lumière de l’été qui tremble dans les arbres. La chaleur. Le soleil et la bruine grise qui mouille les cheveux, les joues, les lèvres et qu’on lèche avec sa langue pour se nourrir de ciel.
J’ai raconté les vagues, toutes les vagues sur Internet et ailleurs, sur le sable, dans la vie, dans les souvenirs. Les vagues qui effacent les précédentes dans une ronde incessante. La Toile. Gaïa. Elle, mon amie, de toutes les vagues, de toutes les toiles, comme un peintre virtuose.