Le nombre total de monuments renversés et érigés en Europe orientale au cours des dernières décennies trahit une hyperactivité dans ce domaine. La forme traditionnelle du monument figuratif domine encore, mais des formes abstraites et des éléments architecturaux commencent à apparaître. Les monuments continuent d'être activement implantés dans les espaces publics en tant qu'expression de la mémoire collective, mais aussi en tant qu'outils efficaces de propagande idéologique. L'utilisation de matériaux solides - métal, pierre, béton - ne garantit en rien la durabilité des monuments. Au contraire, ils servent de "paratonnerres" et, en règle générale, ce sont eux qui reçoivent les premiers coups lors des changements de régimes et d'idéologies. Le zèle à ériger des monuments fait penser à une grande partie d'échecs. Chaque communauté a ses "rois", ses "reines", ses "fous" et ses "pions". L'opposition des noirs et des blancs symbolise parfois celle des voisins, parfois le conflit des ancêtres avec leurs descendants ou encore l'antagonisme de différentes forces et idéologies au sein d'une même société. Et, après chaque victoire ou chaque défaite, une nouvelle partie commence.
In "Mémoire et monuments"
La manipulation constante des faits durant les décennies soviétiques et, plus encore, les révélations reçues à l'époque de la perestroïka et dans les années 1990 (avant la construction de nouveaux récits nationaux en Ukraine comme en Russie), ont produit le sentiment que l'histoire était un rêve ou un cauchemar, mais en tout cas un récit pouvant être remplacé par un autre du jour au lendemain en fonction du pouvoir en place.
In "Le massacre de Babi Yar (1941)"
Certes, Cheptytsky a traversé des périodes particulièrement troubles, quand les frontières et les régimes changeaient avec une rapidité et une brutalité aussi déconcertantes que dangereuses, d'où une action politique menée par à-coups, en fonction des circonstances, ce qui ne manque pas de donner à son parcours cette sinuosité que d'aucuns attribuent à la duplicité et à l'ambition, mais qui reflète plutôt chez cet homme de conviction le tragique enchaînement des doutes et des égarements, des espoirs et des désillusions. Plus que ses mérites ou erreurs politiques, c'est probablement cette dimension tragique qui fait de Cheptytsky un personnage légendaire dans la mémoire collective de sa Galicie natale.
In "Andreï Cheptytsky (1865-1944)"
Le métier d’historien, qui suppose de rassembler et de synthétiser des sources palpables, conduit facilement à ignorer ce qui n’est pas pleinement advenu, et donc à sous-estimer la capacité innovatrice des utopies produites dans les périodes révolutionnaires.
Ce cycle de destruction reconstruction de monuments a inspiré à l'artiste ukrainienne Janna Kadyrova le "Monument au nouveau monument" (2009), qui a été installé dans la petite ville de Charhorod, dans la région de Vinnytsia. On voit une figure debout sur un piédestal (hauteur totale de plus de 4 mètres), mais cachée derrière un voile, comme le jour de l'inauguration. Cependant, le voile est fabriqué en béton et en carrelage, et il ne sera jamais enlevé. Kadyrova a créé la statue de "tous les temps et de tous les peuples". Elle a ainsi mis le doigt sur le besoin qu'éprouve la société d'ériger des monuments, et a signalé le caractère récurrent du processus.
L'histoire est utilisée le plus souvent pour légitimer la politique au jour le jour de gouvernements qui sont persuadés que la mobilisation patriotique exige un récit historique univoque, même s'il est inexact ou faux.