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Citation de mamansand72


Arrivé à destination, non loin de l’ancienne bibliothèque Ahmed-Baba, j’ai pu constater, en louchant un peu, que mes narines palpitaient. J’ai compris leur message. Elles avaient repéré d’autres parfums que les remugles de rance et de moisi ordinairement dégagés par une femme d’âge et peu soignée. Ce que je sentais, c’était du sang de très jeune fille, cette aigreur quand elles suent, le sel de leurs pleurs…
Inutile de m’en dire davantage : la vieille femme que je poursuivais était de la terrible corporation, celle qui excise sans vergogne.
Parce qu’on fait ça depuis toujours. Parce que telle est la tradition, et d ‘ailleurs, où est le mal, quand on respecte les choses ?
Parce qu’on le leur a fait aussi et qu’il n’y a pas de raison que les jeunes y échappent.
Parce qu’en faisant ça, elles gardent le pouvoir.
Parce qu’on les paie pour le faire.
Parce que, plus elles avancent dans la vieillesse et ses avanies, plus elles trouvent jouissance à mutiler, et d’autant plus grande que plus jeune est la mutilée.
Je cherchais des yeux une pierre assez grosse pour défoncer la porte quand, du premier étage de la maison voisine, une femme hirsute a crié, bientôt rejointe par un homme :
- Qui c’est celui-là , à déranger si tôt ?
- J’ai balbutié :
- - Rien, rien !
Je me suis enfui d’un pas rapide, n’écoutant que mon intelligence. Laquelle avait rapidement évalué le rapport de force et conclu qu’il n’était pas en ma faveur. Histoire de fierté personnelle, j’ai quand même murmuré à la vieille qu’elle ne perdait rien pour attendre.
Et comme, le soir venu, les battements de mon cœur ne se calmaient pas, encore accélérés par les mauvaises nouvelles venues de la cellule de Madame Bâ, comme, dans ces rues sablonneuses, en cette ville de Tombouctou pourtant connue depuis la nuit des temps pour les avoir de ses médecins, personne n’était capable de m’indiquer un cardiologue compétent, et comme un Ismaël mort ne serait plus d’aucune utilité à personne, je résolus, faute de mieux, de me soigner à la philosophie.
C’est ainsi que, partant du cas particulier de cette matrone exciseuse, je passai à la généralité des femmes pour parvenir à la conclusion non concluante que, toutes les femmes en Afrique n’étant pas bonnes, on devait subséquemment pouvoir en inférer que tous les hommes n’étaient pas obligatoirement mauvais.
Ces réflexions m’avaient épuisé. Mais une rapide vérification, index discret sur le poignet me le confirma : mon pouls ne cavalait plus. Je ne manquai pas d’en remercier Dieu, maître de rythmes.
Et, sous le regard attendri et soulagé d’Abdullah, je finis par plonger dans le sommeil avec un double objectif : y puiser les forces nécessaires à la libération de ma patronne ; y accumuler assez de haine pour avoir le courage de forcer ma nature pacifique en tuant un jour prochain, et, sans doute par égorgement, cette cruelle matrone.
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