Eva Kopp

Depuis le 11 mars 2011, j'ai croisé beaucoup de vivants morts et de morts encore trop vivants. Parfois ils me rendent visite dans mes rêves. J'ai l'impression qu'avant, nous étions insouciants, mais nous ne le savions pas.

Dans mon coeur, deux renards s'affrontent. L'un est méchant et sombre. Il est la peur, la colère, la peine, la culpabilité, les ressentiments et le mensonge. Ses attaques sont perfides. Il reste tapi dans les failles de l'âme et attaque à la moindre occasion. L'autre est bon et lumineux. Il est paix, amour, espoir, partage, compassion et confiance. Les deux se battent à mort. Le combat est sanglant, cruel, impitoyable...

Le quotidien reprend ses droits. Les platanes du Canal du Midi commencent à perdre leurs feuilles. Le soleil se lève plus tard, lui. Les matinées sont fraîches et les après-midi continuent de flirter insolemment avec l’été.
Aux Violettes, Héloïse change les draps, désinfecte les lits. Vérifier que les patients soient propres, faire les changes de ceux qui portent des couches, distribuer les plateaux repas et, surtout, aider ceux qui ne peuvent pas manger seuls. Elle aime ces précieux moments du déjeuner où elle n’a presque pas à courir d’un couloir à un autre, à traiter les urgences.
Héloïse n’a toujours pas le temps mais il se dilate. Un peu.
Elle aime quand l’humain s’invite dans l’échange, quand elle peut materner. Cela lui rappelle quand sa maman avait eu son cancer. Elle pouvait s’assurer qu’on lui accordait les meilleurs soins. Pendant le repas, elles réécrivaient leur passé.
Parfois elle doit refaire le lit des patients qui ont eu un petit accident pendant la nuit.
Cela arrive de plus en plus souvent. La direction a changé la marque des couches. Moins chères de cinq centimes mais moins efficaces, également. Une perte de temps et d’énergie pour les aides-soignantes, une perte supplémentaire de dignité pour les patients. Pour leur santé aussi. Trois couches par jour et pas une de plus. Tant pis pour les escarres. Un gain indéniable pour la trésorerie. Elle déteste ça.
À l’odeur de l’urine, elle sait qui va partir prochainement. L’odeur de la peur et de la mort réunis. Aujourd’hui madame Vigneron brandit fièrement une photo sur son téléphone portable. La photo d’une vieille femme ridée comme un pruneau. Héloïse ne se risque pas à dire le fond de sa pensée. Elle ose un neutre :
-C’est qui ?
-C’est ma sœur.
-Ah oui… Le même sourire. Vous vous ressemblez.
-Je l’ai retrouvée grâce à Facebook.
-Ah bon ?
Incroyable Internet ! Le World Wide Web unit le Monde entier, toutes générations confondues.
-Oui, c’est ma fille qui m’a inscrite. Elle a posté une photo de moi enfant. Mathilde m’a reconnue.
-Mathilde, c’est votre sœur ? interroge Héloïse avec douceur.
-Oui, Mathilde, c’est ma sœur.
Un sourire illumine le visage de madame Vigneron. Héloïse ne parvient pas à cacher sa stupéfaction.
-Elle était sur Facebook ?
-Oui, elle s’y connaît en informatique, confie la vieille dame d’un air entendu.
-Je vois ça ! Vous l’avez rencontrée ?
-Bientôt ! Dès que le médecin me donne l’autorisation de sortir !
-Ahhh alors il faut prendre des forces, Madame Vigneron. On continue avec la compote de pommes ?
C’est que Héloïse ne dispose que de quatre minutes pour la faire manger.
Madame Vigneron lui tire la langue. Une vieille dame indigne comme les aime Héloïse.
-Ça suffit jeune fille ! Vous allez me parler autrement, je n’ai pas cinq ans !

Meetic, c’est mieux que Radarsex pour le profil qu’elle convoite. Elle clique sur les profils en mangeant des céréales et en buvant des bières.
Son type d’homme ?
La cinquantaine entamée, voir très bien entamée, les sourcils épais, le ventre réconfortant, légèrement dégarni. Sexy, hein ? Le père du gendre idéal. Le gendre, elle le garde pour Barbara.
En ce moment, elle tchate avec quatre mâles simultanément.
Que les hommes sont prévisibles…
Il y a le #Bescherelletamere. Celui qui fait couler des larmes de sang à la lecture de chacun de ses messages :
-Bonjoure je recheirche celle qui sera maprésier tel que je suis car j’ai bocoup soufeirre.
Le boloss qui se prend pour un poète :
-Ton père est un voleur. Il a piqué toutes els étoiles dans le ciel pour les mettre dans tes yeux.
Celui qui n’est jamais dispo le soir et le weekend mais qui n’est pas en couple, bien sûr que non :
-Tu fais quelque chose à 13h00 ?
De temps en temps, des interlocuteurs presque polis, presque respectueux, presque célibataires et toujours les mêmes questions, les mêmes réponses. Il n’y a qu’à copier-coller. Il n’y a plus le petit frisson. Pas la moindre illusion. Eux aussi doivent tchater de front avec d’autres femmes. À elles aussi, ces questions :
-Que fais-tu dans la vie ? (Où puis-je te rencontrer dans ton milieu naturel)
-Depuis combien de temps es-tu célibataire ? (As-tu faim ? Ou vais-je devoir m’épuiser à te faire la cour ?)
-Tu fais du sport ? (Es-tu bien gaulée ?)
-Peux-tu m’envoyer une autre photo de toi ? (As-tu photoshopé ton profil ? J’aimerais vérifier)
-Je sens que le feeling passe bien entre nous, quand pouvons-nous nous rencontrer ? (Coucher ?)
Dans le lot, il y en a toujours un qu’elle ne sent pas et qu’elle s’amuse à faire mariner. Lorsqu’il demande à la rencontrer, elle ne répond plus, n’ouvre plus ses messages. Au bout d’un moment elle le bloque. Elle l’imagine s’énerver sur son clavier. Cette pensée lui donne un regain d’énergie.
Tiens donc… Patrick avait supprimé son compte, il y a dix jours. Visiblement, il est en manque de chair fraîche : il vient d’en recréer un.
Comment elle le sait ?
Autre pseudo, photo identique. Il ne se foule pas. Juste pour s’amuser, elle like sa photo. Le résultat ne se fait pas attendre. Il l’a bloquée. Elle éclate de rire et manque de s’étouffer au passage des cornflakes dans ses narines.

Un roman sur la quête de soi et de ses origines, où le quotidien d’Héloïse se retrouve bousculé par la découverte d’un corps dans la Garonne. Or, ce dernier ressemble étrangement à son père… Avant de découvrir qu’il a refait sa vie sans la prévenir, ni elle, ni sa mère.
À lire.

Il espère que cette catastrophe prendra un jour un sens. Non seulement au Japon, mais aussi dans le monde entier. Que les enseignements tirés de cet accident serviront à améliorer la sûreté des installations nucléaires.

"Cette éolienne sur laquelle je travaille à quelque chose de mystique en commun avec l'éclipse. Elle, entre ciel et mer. L'éclipse, entre la vie et la mort" songe Hakao.