— Tu ne devrais pas pleurer, ma Romy, dit Gabriel d’une voix douce.
— Tu vas me dire qu’il n’en vaut pas la peine, c’est ça ?
— Même si je pense que c’est vrai, non, ce n’est pas ce que j’allais dire.
— Quoi alors ?
— Tu ne devrais pas pleurer, parce que le pire est encore à venir, déclara-t-il.
Romy leva un sourcil interrogateur. Gabriel prit sa voix la plus sérieuse.
— On mange chez les parents à la fin de la semaine !
— Misère ! gémit-elle en se prenant la tête entre les mains
Dans le roman, Margaret a beau être confrontée à la dure réalité de la vie en côtoyant la misère sociale du nord de l’Angleterre, elle ne choisira pas d’épouser un ouvrier. Elle épousera le patron de l’usine. C’est ce que j’appelle une héroïne raisonnée. Je suis absolument convaincu que la passion ne dure jamais. Ce qui compte, c’est le dialogue et la bienveillance, dans un couple.
Chaque seconde passée dans l’eau la ramenait forcément à cette femme qui avait dû cacher sa véritable identité pendant la majeure partie de sa vie, cette femme qui avait dû abandonner l’amour de sa vie et qui avait fini par mourir sans jamais le retrouver.
Certains de ces livres étant très anciens et coûteux, ils devraient être placés dans la réserve. La jeune femme se demanda même si toute la collection de Liliane ne mériterait pas une exposition dans le bâtiment central de la bibliothèque. Il faudrait qu’elle en parle cette après-midi avec Aline. Cela lui demanderait des mois de préparation, mais elle était certaine que ça en vaudrait la peine. Elle était plongée dans l’inventaire d’une série de livres de Théophile Gautier, presque uniquement des premières éditions, quand son téléphone portable se mit à sonner.
Repartir dans le passé, revivre les moments de ma vie qui m’ont rendue le plus heureuse, sentir l’odeur de l’embrun et de ton parfum me chatouiller les narines, te revoir une dernière fois, rien qu’en fermant les yeux. Pierre a parlé d’examens complémentaires, de scanners et d’IRM afin de savoir exactement de quoi je souffre, mais il a lâché des mots qui m’ont fait peut-être encore plus mal que ceux qu’il m’a dits quand nous nous sommes disputés il y a presque vingt ans de cela : démence sénile.
La vérité, c’est que ce diagnostic préliminaire n’est pas une surprise. Cela fait quelques mois que je me rends compte que quelque chose cloche dans ma tête. Que parfois, j’oublie des choses que l’on vient tout juste de me dire, que j’ai des absences. Mais j’avais mis ça sur le compte de la fatigue et de la vieillesse. Mon fils a ajouté que, désormais, je ne pouvais plus rester seule chez moi, que je pouvais être un danger pour moi-même et qu’il ne pouvait pas s’occuper de moi.
Retrouver l’amant de cette personne dont elle ignorait jusqu’à l’existence quelques jours plus tôt. Elle ne pouvait pas faire ça. La lettre était un objet bien trop intime pour qu’elle continue de la décortiquer comme elle l’avait fait. Elle devait faire preuve de pudeur. La meilleure chose à faire était sûrement de la rendre à la famille… Mais celle-ci n’en voudrait certainement pas. Elle ne souhaitait peut-être pas connaître les détails de la vie intime de leur aïeule.
Jeanne était blonde comme les blés, grande et élancée et, tout comme son métier qui exigeait rigueur et concentration, elle était dotée d’une personnalité calme et déterminée. Camille, au contraire, était brune, à son plus grand regret, et sa chevelure ondulée lui donnait du fil à retordre tous les matins. Elle avait hérité de sa grand-mère italienne son teint hâlé, ses yeux bleus et son caractère passionné et audacieux.
C’est la toute première fois que j’ai senti mon cœur s’affoler en contemplant mon fils. C’est aussi à ce moment-là que j’ai remarqué pour la première fois à quel point c’était un petit être fragile et vulnérable, un petit être qui était également innocent.
Comment pouvais-je en vouloir à un bébé qui n’avait pas demandé à être là ? Comment pouvais-je le blâmer pour les choix que moi, j’avais faits ?
Le temps efface les souvenirs, les gomme petit à petit aussi et pourtant, je me souvenais parfaitement du moindre détail de ton visage. De la courbe généreuse de tes lèvres, de ce grain de beauté au coin de ton œil droit, de ton nez aquilin. Je me souvenais de tout et à cet instant, et je crois que c’est à cet instant précis que j’ai véritablement compris que je ne pourrais jamais oublier.