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Citation de Charybde2


Je veux en venir à la question de la langue de Novarina, non seulement en faisant un détour par la langue maternelle mais en opérant un rapprochement qui peut sembler inattendu et même incongru, en comparant le théâtre de Novarina au théâtre et plus généralement à l’écriture de Samuel Beckett. Beckett comme Novarina œuvre d’emblée dans le champ métaphysique, déclare la guerre aux divinités, interroge la nature de l’espace et du temps, invente une langue qui se charge d »œuvre en œuvre de dire la catastrophe de l’être, le néant de l’existence et le voisinage ironique de la mort. Mais en songeant à ce rapprochement, ce qui me semblait les opposer radicalement est justement le statut de l’intériorité et de l’extériorité face à l’épreuve de la naissance. Je serais tentée de dire que Beckett nous met à l’épreuve d’une impossibilité de sortir, d’en sortir. Comme si les personnages de Beckett respiraient à peine par leur bouche, au bord des orifices improbables qui fissurent la glaise des jarres où leurs corps sont enfermés. Certes il y a de la colère chez Beckett. Elle est fortement indiquée, dans les didascalies, où il précise toujours le ton de la réplique : « avec colère ». Mais il y a aussi la violence cruelle avec laquelle les personnages peuvent se traiter mutuellement. De ce fait je vois s’inscrire deux figures de la colère : chez Novarina elle semble être celle d’un corps et d’une voix qui n’existent que sous un régime d’exil, d’expulsion. Sa voix profère, c’est-à-dire étymologiquement porte en avant, est portée devant. Alors que chez Beckett, la voix se fait intérieure, dans la gravité caverneuse de ténèbres silencieuses.
Ce sont deux régimes différents de la rage : chez Novarina il y va de la colère, chez Beckett plutôt de la cruauté. Chez Novarina les personnages ont le plus grand mal à dialoguer tant leurs paroles se perdent presque aussitôt prononcées dans un espace sans bord. Seuls les spectateurs ont à charge de rassembler tous les fragments, toutes les discontinuités dans la texture sonore d’un espace fictionnel qui, sans qu’ils aient à le comprendre, les embarque sur la mer tumultueuse et déconcertante de leurs propres affects. Étrange paysage qui compose entre l’escalade montagnarde et la navigation. Chez Beckett au contraire le spectateur se laisse engloutir dans les décombres d’une temporalité continue, sans rupture, où l’intériorité domine et nous saisit comme si nous entendions, venue de la scène, la voix intime et déroutante de notre catastrophe intérieure, de notre captivité. Le paysage tient à la fois du désert et du naufrage. (Marie José Mondzain, « Variations autour de L’homme hors de lui« )
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