On a eu des rapports dans la cuisine, mais je n’ai rien senti. Il est tellement égoïste qu’il ne s’est même pas rendu compte que son pénis brillait par son absence. Il a remonté son pantalon et nous sommes allés boire un verre.
J’ai été engagée pour un feuilleton en treize épisodes intitulé La Ruse.
Mon personnage s’appelle « amie ». Autrement dit, il n’a pas de nom. Il apparaît dans le deuxième épisode, scènes 8,11 et 45. Ensuite, il disparaît sans crier gare jusqu’au septième épisode, où il ouvre enfin la bouche. Dans le neuvième épisode, il a une idylle avec le mari de l’héroïne. J’ai donc une scène de lit avec un sexagénaire, ex-jeune premier ayant des problèmes intestinaux. Pour des raisons évidentes, on me retire la parole et on ne me pardonne qu’au dernier épisode. Mais on fait allusion à moi dans plusieurs séquences. Pour finir, je m’appelle Romina. Dans la scène 20 du treizième épisode, je meurs, renversé par une voiture. On filme mon enterrement, on me voit dans le cercueil. Là, on éprouve de la compassion pour moi et, de profil, l’héroïne pleure sur ma fin tragique. Une vraie daube.
- Boiter n'a jamais été un problème pour moi. Mais ça causait des ravages chez les autres.
[...]
- Comme nous étions trois enfants, ma mère mettait à mes frères une chaussure avec un talon plus haut que l'autre pour qu'ils boitent eux aussi. Ainsi, mon infirmité passait plus inaperçue. En classe, la maîtresse a suivi la même méthode. Mes camarades étaient obligés de supporter des voûtes plantaires gênantes sous le pied droit. Tout mon entourage claudiquait et certains devenaient haineux. La farce a continué jusqu'à ce que mon frère Gerardo arrive un jour avec des bottes à talons aiguilles. Il a ensuite viré hippie à cause des sandales...
- Excuse-moi de t'interrompre...
- Non, je ne t'excuse pas.
- Personne ne devient pédé ou hippie à cause de ses pieds. Enfin, c'est ce que je pense, je donne juste mon avis.
En relisant mes vieilles notes et en me rappelant les répétitions, je me suis sentie aussi inutile qu’une mandarine au soleil.
Je fais de la pongée au fond d’un lac insalubre qu’est
ma tête. Ou devrais-je dire insondable ?
Je me noie dans les mers universelles que sillonnent
mes veines. Si je regarde un de mes ongles de pied, j’y
vois la superficie de Mars.
Par dessus le marché, je n'ai pas pu répéter. Un des acteurs de ma pièce à essayer de se suicider. J'ai passé le week-end chez lui, aux petits soins, dissimulant mes envies de prendre mes jambes à mon cou, sans m'arrêter, jusqu'en enfer. Avant que sa famille n'arrive j'ai du passer une éponge sur sa peau pour retirer la peinture bleue qui lui bouchait les pores. C'était une tentative de suicide particulièrement trouble. Je l'ai découvert allongé dans le salon de son studio, couvert d'une croûte de peinture sèche. On aurait dit un schtroumpf tragique, décharné. C'était à se demander, en le voyant, s'il fallait pleurer ou lui coller un trempe. Il n'avait pas pris assez de cachets et il s'en est tiré, mais avec des séquelles. Il ne se souvient plus de rien. J'ai dû le retirer de la pièce. Un acteur sans mémoire est un couteau sans tranchant.
Et je suis atterré. Je ne sais pas quoi faire. Je n'aime pas vivre sans but. Il y a tant de jours devant et derrière moi que je panique. Je ne peux être ni heureux ni malheureux. J'essaie toujours d'analyser, mais ce monde est trop vaste pour moi. Les faits surviennent d'eux-mêmes sans que je parvienne à trouver une cause supérieure.
J'aimerais être à nouveau un enfant naïf et solitaire, penser comme une plume blanche qui se volatilise. Tomber lentement, traverser l'air pourri dans un va et vient de plume vierge. Seul dans ma pureté froide et immense, dans mon corps innacessible, ancré et enterré. Pensée pure, sans chair ni os opressants, insultants...
La femme qui m'aidait est partie il y a des milliers de desserts. Maintenant je commande tout par télephone. Dans cette ville de squellettes vengeurs, je crois que je suis la première à mettre fixé un objectif aussi graisseux. Je veux exploser.
Mon corps est mon discours. J'espére que quelqu'un me comprendra.
- Tu es vieille, personne ne t'écoute, personne ne t'aime! Il faut assumer le ridicule. Ca manque d'élan! Des nuances aussi!
Je m'écroule à quelques centimètres d'une fête organiser en mon honneur.