Fiona Valpy

Le matin du premier lundi du mois de septembre, Eliane prit le chemin du château dans un état d'hébétude. La veille, elle avait passé l'après-midi ensoleillé en compagnie de Mathieu au bord de la rivière, à regarder les valses des demoiselles au-dessus de l'eau. A cette heure de la journée, les rayons du soleil couchant rebondissaient en ricochets sur la surface de l'eau. Pendant quelques minutes, la rivière scintillait de mille feux dorés, réfléchissant la lumière ondulante des arbres penchés sur le cours d'eau . Dans une subtile alchimie, les feuilles se transformaient en un trésor étincelant.
Cela ne dura qu'un instant. l'angle des rayons se déplaça légèrement, la lumière se modifia et la rivière fut vite recouverte d'un voile de couleurs crépusculaires. Mathieu se leva et offrit sa main à Eliane pour l'aider à se redresser.
Soudain, le calme fut rompu par un crissement de dérapage dans la poussière, suivi d'une volée de gravier projetée contre le mur de la grange. Yves bondit de sa bicyclette et la jeta si négligemment contre le muret qu'elle se retrouva au sol, les roues en l'air une seconde après. Yves s'en fichait éperdument, il courait déjà ventre à terre vers la maison lorsqu'il aperçut les deux tourtereaux sous le saule pleureur.
" Eliane ! Mathieu ! C'est la guerre ! On est entré en guerre contre l'Allemagne ! "

- C'est qu'elles sont drôlement douées pour travailler toutes ensemble, dites-moi, nota Mme Fournier.
- Absolument. Comme nous tout à l'heure dans le train, tous ensemble. Une abeille seule ne peut pas faire grand-chose mais quand elles restent en groupe et forment une communauté, elles peuvent survivre au plus rude des hivers et faire fuir les prédateurs les plus féroces.

Comment les gens font-ils pour rester assis sans bouger si longtemps ? Impossible de me sentir à l’aise dans cette position. J’ai commencé à m’agiter, physiquement et mentalement, à me mettre à cogiter, alors que j’étais censée me vider l’esprit. Pourtant, je n’ai aucune envie de me mettre à réfléchir.

Je commence à me dire que la méditation, ce n’est pas mon truc. Cet après-midi, on est partis en balade méditative, une balade en pleine conscience (et pas une balade d’introspection, comme je le fais, moi). Dans les prés qui entourent le centre, on apercevait un tas de personnes en pleine déambulation méditative, errant comme des zombies, concentrées sur chaque pas pour « rester dans l’instant présent », comme on nous l’avait recommandé. Les premières minutes se sont plutôt bien passées jusqu’au moment où j’ai croisé Pru flanquée de monsieur Pays-Bas, le tandem parfait.

Les deux jeunes femmes étaient amies depuis leur premier jour d’école, ce qui pouvait parfois surprendre car autant Francine avait un caractère impétueux et extraverti, autant Eliane possédait un tempérament calme et réservé. Mais, en réalité, elles se complétaient. Dès l’âge de six ans, elles s’étaient rendu compte qu’elles partageaient le même sens de l’humour et le même instinct nourricier, et avec le temps, leur amitié avait survécu à tout sur la base d’une loyauté indéfectible.

J’inspire profondément puis expire lentement, comme ma psy m’a appris à le faire lorsque je reconnais chez moi certains signaux de panique. Calme-toi. Il faut garder le contrôle, c’est ça la clé. Ne pas laisser ressurgir les souvenirs. Avec le temps, ça ira mieux. Voilà ce que tout le monde me répète en boucle.

Pour se faire des amis, il faut être patient, aussi. C’est bizarre de se dire qu’on se sent encore plus seule parfois là-bas que quand on vit à la campagne. Mais je me suis fait quelques copines maintenant, et le travail me plaît drôlement, même si certaines clientes sont impossibles à satisfaire.

Ils appellent ça la dissociation je crois. Quand on se réfugie dans un endroit du cerveau pour pouvoir supporter l'insupportable. C'est une vraie force, ça, que les thérapeutes nomment aussi la résilience. Il faut que tu apprennent à être résiliente.

C’est ma psy qui serait contente : elle me répète à l’envi que la colère fait partie du processus de reconstruction. Donc, au moins, je ressens quelque chose, c’est déjà ça. Quant à savoir si c’est un bon signe ou pas, ça…

À seize ans, le jeune homme venait à peine de quitter l’école et la relative liberté que lui offrait le travail au moulin avec son père lui plaisait davantage que l’ambiance des salles de cours et des examens.

Le pain dense à la farine de châtaigne remplissait certes les estomacs, mais le miel, lui, transformait carrément l'expérience du pain sur lequel on le tartinait, et, là, c'était un pur bonheur.