Un geste brusque. La porte s'ouvre et vomit son secret. Le Docteur recule dans un sursaut de stupéfaction.
Un cadavre nu a fui sa tombe d'occasion. Le médecin retourne le corps écrasé à terre. Une punaise plantée dans sa palette joue la mouche et lui donne l'air précieux. La peau porte une teinte mi-livide mi-bleuâtre, une nuance de gouache qui se serait asséchée depuis des lustres dans le cartable d'un gosse. Ses yeux révulsés montrent des cernes violacés de souffrance ; le blanc des globes a viré au jaunâtre vitreux. Un bout de la vie mordue jusqu'à la chair pendouille entre les lèvres pâles et craquelées. Une plaque marron de sang coagulé tache son menton. Durement ficelé, le corps légèrement courbé dans sa position ultime découvre ses fesses aux yeux de l'inspecteur qui s'en est bouché le nez d'émotion. L'odeur de putréfaction qui envahit la pièce achève au passage les rares traces d'aérosols.
Chacun dispose d'une tombe nominative, quand l'administration recommande de simples plaques numérotées. Lorsqu'il peut obtenir assez d'informations, le croquemort grave même une épitaphe censée évoquer la pensée ou la vie du défunt. Le plus souvent, pourtant, ne sont écrites que deux dates, naissance et mort, au milieu desquelles s'insinue un modeste trait d'union. L'existence se résume alors à ce tiret qui restera là, jusqu'à ce que toute trace de ce temps soit devenue cendres, jusqu'à ce que l'érosion ait dévoré et sublimé l'Homme, au point d'en créer une légende nébuleuse que se raconteront les nouveaux maîtres du monde au coin du feu.
Ensuite, il ne faut pas oublier les envies pressantes ! La bienséance n'autorise pas à s'abandonner sur place. Lili a contourné le problème en amenant son postatif aux toilettes. Elle pousse le vice jusqu'à éviter d'uriner ou de déféquer trop bruyamment pour ne rien perdre ou tout simplement préserver la tension sexuelle d'une scène intime. Oui, elle retient l'incontinente et vilaine petite goutte de pipi par contraction violence du sphincter juste le temps d'un baiser baveux hollywoodien. L'instant écoulé, elle se laisse aller – mais en toute discrétion – à pisser de plaisir.
Quand déjà peu d'élus savent regarder la vérité en face, son strabisme lui a permis d'atteindre un stade supérieur en épiant le mensonge qui revient à la charge sur le côté.
De nos jours, aucun enfant n'écoutera sa mère lui dire : "sois sage sinon le tueur au yoyo te massacrera !". Personne. Tout le monde s'en fout. La peur ne fait plus peur. Le sang, on le nettoie. Les corps, on les jette. Pas plus difficile que ça.
La seule vraie crainte naît des rêves. Cancrelats nocturnes prêts à dévorer les cervelles, il guettent sournoisement des proies à infecter. Voilà la leçon apprise dès le biberon : l'ennemi, c'est le rêve !
Le café ondule sous la tendre insistance d'une cuillère qui fait le dos rond. La lueur du jour y danse paresseusement. Elle [Myriam] sirote ce jour bien morne. Amer et corsé. Pour l'édulcorer, elle offre une sucrette d'aspartame en sacrifice au puits sombre. Éclaboussure. Plouf ! La sucrette agonise, supplie mais trouve une mort atroce, contaminée et rongée par l'acide du mal ténébreux du quotidien des mortels.
Du sang-froid ? Quelle connerie ! Seuls les macchabées en sont pourvus !
« Toc ! Toc ! », hurle la porte traumatisée par des poings vindicatifs.
Hélios ne comprenait pas l'intérêt d'une barre de fer en travers du corps. Hormis la douleur, tolérable, ça le gênait entre les poumons ; il avait un peu de mal à respirer.
« Bientôt, chacun dressera sa morne caricature dans une érection matinale plus mécanique que née d'une quelconque excitation de goûter la journée à venir », pense l'homme.