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Les dégustations m’ennuient. Sérieuses ou ludiques, elles revêtent un aspect monotone qui tient autant au rituel lui-même qu’à la perception routinière qu’elles finissent par donner du vin. S’y mêlent une méthode scolaire au point d’engendrer la torpeur et un bachotage stérile qui voisine avec l’esprit de compétition le plus mesquin.
Depuis quelques années, cet exercice austère est devenu la manière normale de boire pour un grand nombre de femmes et d’hommes, en France et à l’étranger. Ils appliquent ainsi, le plus souvent dans une totale innocence, une technique dont l’histoire est récente mais qui a su si bien occuper une place centrale qu’elle a été adaptée à toutes sortes de produits, du beurre au fromage et du miel au piment d’Espelette.
Le verre à pied en forme de tulipe, tenu adroitement entre le pouce et l’index, que l’on lève pour en contempler le contenu avant de le faire tourner d’un geste vif afin de sublimer l’arôme, est ainsi devenu l’outil dont l’usage indique le prestige de l’amateur averti ou du professionnel respecté.
Dans les pays qui le produisent plus encore que dans ceux où il est consommé, il est de coutume de parler du vin. C’est même un trait tellement caractéristique qu’il semble souvent définir les Français aux yeux de nombreux étrangers, qui les envient pour cela ou se moquent gentiment d’eux. Passion de la table ou culture de la grivoiserie, l’arène au centre de laquelle trônent les boissons a le verbe haut et le vocabulaire coloré. Mais aujourd’hui, le stade de la célébration de la jambe et de l’évocation de la robe, qui était encore accessible à la génération des mes parents, est dépassé.
Un jargon technique a remplacé la fraîcheur surannée des sympathiques descriptions qui résonnaient jadis autour des tables. Surtout, ce jargon a émané d’une corporation qui s’est évertuée à professionnaliser son savoir, et l’honnête homme s’est vu dépouiller progressivement, dans la deuxième moitié du XXe siècle, du privilège de choisir comme il l’entendait les mots dont il userait pour s’exprimer. En présence des maîtres, à l’écoute de cette langue froide et sèche qui est celle de leurs analyses, des sourires crispés ont remplacé sur les visages la jovialité bouffonne des buveurs.
En moins d’une cinquantaine d’années, la perception que l’on pouvait avoir du vin a été considérablement transformée. La dégustation, agent principal de ce changement, signifiait pour les buveurs la joie de savourer aliments et boissons. Elle a été remplacée par l’effort de les définir. Déguster, c’est à présent faire ce que font un sommelier ou un œnologue lorsqu’ils boivent du vin.
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Les dernières années du XXe siècle ont été envahies de personnages plus ou moins médiatiques, sommeliers charismatiques, journalistes, consultants en oenologie. Ils ont eu leur heure de gloire et on a pu penser que le savoir relatif au vin s’était concentré entre leurs mains. Mais on a peu à peu cessé d’en entendre parler et le phénomène des « gourous du vin » s’est estompé sans que n’en soient renouvelées les incarnations. Par-delà ces personnages, importants ou infimes, le savoir est aujourd’hui dilué dans le discours des innombrables « grands dégustateurs » que nous croisons chaque jour, zélotes empressés de l’art de goûter qui hantent les bistrots et les foires aux vins. La dégustation est devenue un phénomène diffus, décentralisé, qui n’existe plus à présent que pour lui-même. Elle s’insère entre la coupe et les lèvres comme une barrière entre l’homme et ses mondes imaginaires. La raison du marché, dont elle est l’invisible émissaire, opère une discrète érosion de la capacité de juger, en même temps qu’une réforme de la manière de dire le vin.
On peut espérer que les buveurs goguenards, dissimulés dans l’ombre et accoudés au comptoir, sirotent des ballons de rouge qu’ils ne dégustent pas, et qu’ils suivent le conseil de sagesse que Jin Oshige donne à Dominique Lestel : « Tu comprends le monde en l’éprouvant, pas en en faisant un modèle abstrait que tu vas appliquer à des éléments concrets. La différence majeure, c’est que tu ne cherches pas à comprendre le monde en t’en détachant au maximum, mais en t’engageant en lui au plus profond de ce qu’il est. » Naturellement, la meilleure manière de suivre ce beau conseil est encore de se joindre à eux.
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