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EAN : 9791096339143
112 pages
Menu Fretin (06/09/2017)
4/5   1 notes
Résumé :
« La transformation progressive du buveur en dégustateur est une véritable aliénation. Là où s’établissait un rapport libre au corps et au monde, là où l’alimentation rencontrait l’ivresse et la commensalité, ne règne plus aujourd’hui que la contrainte » écrit François Caribassa.

Dans son essai, il énonce une critique raisonnée de l’institution œnologique, de ses mythologies et des codes qu’elle nous impose. En posant cette simple question... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Un pamphlet tonique, tout d'humour et d'érudition, contre la suprématie de l'art moderne de la dégustation du vin, et la standardisation du buveur qui en découle presque nécessairement.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/12/21/note-de-lecture-quest-ce-que-boire-francois-caribassa/

Publié en 2017 dans la collection Manger Penser de l'excellent et souvent iconoclaste éditeur de gastronomie Menu Fretin, « Qu'est-ce que boire ? », le petit ouvrage du bistrotier, esthète et scénariste éclectique François Caribassa est un pamphlet vigoureux, joyeux et extrêmement bien documenté. Pour dénoncer avec humour et science la mainmise de la dégustation, en tant que (quasi) phénomène total au cours des trente ou quarante dernières années, en France et ailleurs, sur la consommation et l'appréciation du vin, il puise avec une grande efficacité (et une culture générale et particulière qui impressionne à chaque pas) dans l'histoire, dans la sociologie, dans l'esthétique, dans l'économie, dans la philosophie et dans la gastronomie elle-même, critique ou pratique, de quoi nous donner à réfléchir sur la manière dont une critique philosophique du jugement de goût, en matière de vin, et qui ne se limiterait pas à une dérivation de « La distinction » de Pierre Bourdieu, doit s'imposer à nous pour notre propre salut d'amatrice et d'amateur n'aimant guère les injonctions et les automatismes, qu'ils soient feutrés et insidieux ou nettement plus directs.

En décortiquant les caractéristiques techniques de la dégustation et en les passant au crible des analyses socio-esthétiques de Christopher Lasch, en traquant la manière pas si innocente ou inadvertante dont le nez s'est imposé face aux autres sens dans l'approche canonique moderne, ou dont la force a dominé d'autres caractéristiques historiquement beaucoup plus ancrées, en pesant les enjeux qui se sont glissés plus ou moins insidieusement au fil des années derrière l'usage critique des appellations, des terroirs ou même des cépages, en allant chercher un secours onirique du côté de Gaston Bachelard et de Jean-François Billeter, en éclairant les récits historiques entourant les monstres sacrés de l'oenologie et de la dégustation que furent Jacques le Magnen, Max Léglise, Jean Lenoir, Émile Peynaud ou Jules Chauvet, en nommant les enjeux économiques parfois terriblement guerriers qui irriguent certaines batailles du goût, en mobilisant aussi habilement le savoir rebelle de vignerons et cavistes tels que Michel le Gris, François Caribassa déconstruit avec brio la standardisation du buveur qui a été à l'oeuvre, tout ce temps, derrière la montée en puissance de la dégustation. Et c'est bien ainsi que cette lecture n'est pas du tout anodine, mais bien décisive et émancipatrice, dans un domaine peut-être inattendu mais ô combien significatif dans nos vies : refaire de nous des buveuses et des buveurs joyeux et légers, curieux et libres, se soustrayant à l'esprit de sérieux, d'obligation et de productivisme économique qui rôde, est encore et toujours un enjeu particulièrement digne de notre attention.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Les dégustations m’ennuient. Sérieuses ou ludiques, elles revêtent un aspect monotone qui tient autant au rituel lui-même qu’à la perception routinière qu’elles finissent par donner du vin. S’y mêlent une méthode scolaire au point d’engendrer la torpeur et un bachotage stérile qui voisine avec l’esprit de compétition le plus mesquin.
Depuis quelques années, cet exercice austère est devenu la manière normale de boire pour un grand nombre de femmes et d’hommes, en France et à l’étranger. Ils appliquent ainsi, le plus souvent dans une totale innocence, une technique dont l’histoire est récente mais qui a su si bien occuper une place centrale qu’elle a été adaptée à toutes sortes de produits, du beurre au fromage et du miel au piment d’Espelette.
Le verre à pied en forme de tulipe, tenu adroitement entre le pouce et l’index, que l’on lève pour en contempler le contenu avant de le faire tourner d’un geste vif afin de sublimer l’arôme, est ainsi devenu l’outil dont l’usage indique le prestige de l’amateur averti ou du professionnel respecté.
Dans les pays qui le produisent plus encore que dans ceux où il est consommé, il est de coutume de parler du vin. C’est même un trait tellement caractéristique qu’il semble souvent définir les Français aux yeux de nombreux étrangers, qui les envient pour cela ou se moquent gentiment d’eux. Passion de la table ou culture de la grivoiserie, l’arène au centre de laquelle trônent les boissons a le verbe haut et le vocabulaire coloré. Mais aujourd’hui, le stade de la célébration de la jambe et de l’évocation de la robe, qui était encore accessible à la génération des mes parents, est dépassé.
Un jargon technique a remplacé la fraîcheur surannée des sympathiques descriptions qui résonnaient jadis autour des tables. Surtout, ce jargon a émané d’une corporation qui s’est évertuée à professionnaliser son savoir, et l’honnête homme s’est vu dépouiller progressivement, dans la deuxième moitié du XXe siècle, du privilège de choisir comme il l’entendait les mots dont il userait pour s’exprimer. En présence des maîtres, à l’écoute de cette langue froide et sèche qui est celle de leurs analyses, des sourires crispés ont remplacé sur les visages la jovialité bouffonne des buveurs.
En moins d’une cinquantaine d’années, la perception que l’on pouvait avoir du vin a été considérablement transformée. La dégustation, agent principal de ce changement, signifiait pour les buveurs la joie de savourer aliments et boissons. Elle a été remplacée par l’effort de les définir. Déguster, c’est à présent faire ce que font un sommelier ou un œnologue lorsqu’ils boivent du vin.
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Les dernières années du XXe siècle ont été envahies de personnages plus ou moins médiatiques, sommeliers charismatiques, journalistes, consultants en oenologie. Ils ont eu leur heure de gloire et on a pu penser que le savoir relatif au vin s’était concentré entre leurs mains. Mais on a peu à peu cessé d’en entendre parler et le phénomène des « gourous du vin » s’est estompé sans que n’en soient renouvelées les incarnations. Par-delà ces personnages, importants ou infimes, le savoir est aujourd’hui dilué dans le discours des innombrables « grands dégustateurs » que nous croisons chaque jour, zélotes empressés de l’art de goûter qui hantent les bistrots et les foires aux vins. La dégustation est devenue un phénomène diffus, décentralisé, qui n’existe plus à présent que pour lui-même. Elle s’insère entre la coupe et les lèvres comme une barrière entre l’homme et ses mondes imaginaires. La raison du marché, dont elle est l’invisible émissaire, opère une discrète érosion de la capacité de juger, en même temps qu’une réforme de la manière de dire le vin.
On peut espérer que les buveurs goguenards, dissimulés dans l’ombre et accoudés au comptoir, sirotent des ballons de rouge qu’ils ne dégustent pas, et qu’ils suivent le conseil de sagesse que Jin Oshige donne à Dominique Lestel : « Tu comprends le monde en l’éprouvant, pas en en faisant un modèle abstrait que tu vas appliquer à des éléments concrets. La différence majeure, c’est que tu ne cherches pas à comprendre le monde en t’en détachant au maximum, mais en t’engageant en lui au plus profond de ce qu’il est. » Naturellement, la meilleure manière de suivre ce beau conseil est encore de se joindre à eux.
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