François Delamare

La fabrication du caeruleum a été mise au point à Alexandrie, et plus tard Vestorius en a fondé une fabrique à Pouzzoles.
Toute l'histoire du pigment est ramassée dans cette courte phrase. Au premier abord, on peut penser qu'elle fait bon marché du passé triplement millénaire de hsbd iryt. En réalité, elle met les faits en perspective : à l'époque de Vitruve, la production italienne seule est d'actualité. Et du passé évanoui n'émergent plus que les fabrications et les exportations alexandrines qui ont à l'époque deux siècles d'existence. Ce lien entre le pigment bleu et la ville d'Alexandrie est tellement fort que les savants du XIXe siècle n'ont pas hésité à baptiser ce hsbd iryt importé devenu coeruleum : bleu d'Alexandrie.

Par qui est-il fabriqué ? Nous n'en savons rien. Probablement par une autorité soucieuse de son monopole, qui veille donc à garder strictement secrète la recette, et contrôle la production. On connaît quelques mentions de « fabricants de lapis lazuli », comme ce Semen, « chef des fabricants de lapis lazuli », qui vit à la fin de la XVIIIe dynastie (vers 1300 avant notre ère). Mais si l'on se souvient de la similitude de sa technique de fabrication avec les techniques verrières, on peut conjecturer que la fabrication de hsbd iryt s'effectue dans certains temples. On sait en effet que la fabrication du verre dépend des grands temples, comme ceux de Thèbes et de Memphis. On connaît une mention d'un Grand Prêtre de Memphis, chef de la verrerie.

Le but premier de ce livre est de montrer avec quelle ingéniosité les hommes ont réalisé artificiellement les matériaux bleus qui leur faisaient défaut. Du bleu égyptien au bleu de phtalocyanine de cuivre, en passant par les bleus mayas et Han, le smalt, les cendres bleues, le bleu de Prusse et l'outremer artificiel, l'on ne peut être qu'admiratif devant la variété des solutions techniques trouvées. A chaque civilisation sa solution, ou sa séquence de solutions. C'est en ce sens que l'on a pu dire des pigments bleus qu'ils constituaient des marqueurs de civilisations.

Mais les pigments bleus ont une autre particularité qui les rend absolument uniques et va, en fait, décider de leur destin : leur couleur est complémentaire du jaune.
Cette remarque serait anodine (toute couleur ayant sa complémentaire) sans la conjonction de deux faits, la teinte légèrement jaune qu'exhibent divers matériaux de grande consommation (fibres textiles ou papetières, pâtes céramiques, verre à vitre) et, dans notre civilisation, un goût prononcé et constant pour la couleur blanche.