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Citation de Cesco


Le bagage d’Eumène flambait. Des chevaux et des mulets déjà attelés aux chariots de transport ruaient dans leurs brancards, terrorisés par l’incendie qui gagnait du terrain. Un valet qui avait tenté d’en libérer quelques-uns gisait sur le sol, la tête ensanglantée par un coup de sabot.
— Souvenez-vous des armées de Darius ! Il y avait des lâches, des pleutres et des hommes qui ne songeaient qu’à se vautrer dans le luxe. Des armées incapables de manœuvrer parce qu’elles pensaient d’abord à protéger leurs trésors. Et nous, les Macédoniens, les Grecs, pauvres, légers, rapides, nous les avons terrassés !
Alexandre savait d’expérience que seuls des sentiments excessifs impressionnent les foules. Alors, il exagérerait sans vergogne, il affirmait, assénait, répétait sans tenter de démontrer quoi que ce soit par un raisonnement.
— Ce qui brûle aujourd’hui n’est rien devant ce qui nous attend demain. Et je vais vous le prouver en incendiant moi-même tout ce que je possède et qui ne sert à rien !
À ces mots, Alexandre sauta à terre, traversa la multitude qui s’écartait sur son passage et alla s’emparer d’un débris enflammé qu’il brandit à la face des soldats. Puis il courut vers ses propres chariots, entraînant à sa suite une foule hypnotisée.
— Voyez, cria-t‑il en mettant le feu à un premier chargement, ne craignez pas et brûlez comme moi tout ce qui est superflu. Et ensuite nous partirons vers l’Inde. Les dieux le veulent ! […]
Le feu se propagea vers l’enclos des montures royales. Alexandre s’y précipita et fit ouvrir les barrières pour éviter que les chevaux affolés ne se blessent en sautant par-dessus les clôtures. Il courut vers Bucéphale et l’enfourcha avant de revenir vers la foule. Les hommes avaient disparu et à leur place, empruntant leurs vêtements, un être nouveau, tentaculaire, grondant, doué d’une volonté autonome et de pulsions qu’aucun individu n’aurait manqué de réfréner s’il avait été isolé, s’emparait de l’espace brûlant, obsédé par le désir de l’étendre et sourd à toute supplication.
Comme l’embrasement général la privait du plaisir d’enflammer, la masse exaspérée suivit les exhortations d’Alexandre et tourna sa fureur contre les bagages de l’armée, ses propres richesses, qui attendaient sur le bord des chemins l’ordre de s’ébranler en une immense et poussive caravane. Une vague d’incendiaires déferla sur le camp. Le nombre leur donnait le sentiment d’une puissance invincible, ce même élan, se disait Alexandre, qui les propulse à l’assaut et bouscule l’ennemi.
Armés de torches improvisées qu’ils avaient extraites des brasiers, les meneurs étoilaient le camp de rivières enflammées, indifférents à la révolte et à l’incompréhension, entraînant à leur suite une marée qui grossissait de tous ceux que le dépit d’avoir perdu leur bien exaspérait d’un désir de vengeance. Certains se retournaient pour avertir ceux qui arrivaient toujours, certains s’arrêtaient, certains voulaient reculer et d’autres criaient : « En avant, en avant ! »
— Débarrassons-nous pour atteindre plus vite les trésors de l’Inde !
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