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Marc Alaux (Autre)
EAN : 9782361573195
557 pages
Editions Transboréal (17/02/2023)
4.67/5   3 notes
Résumé :
Peut-on consentir à une vie dont le cours s'éloigne de nos rêves ? C'est le dilemme d'Alexandre le Grand qui, après avoir balayé l'immense Empire perse en quelques années de campagnes victorieuses, atteint les extrémités du monde connu et rêve de poursuivre la conquête vers l'Inde qui le fascine et qu'il convoite ; mais autour de lui la révolte gronde et le menace. C'est aussi le dilemme de Roxane, la princesse de Sogdiane qu'il a épousée, partagée entre l'éblouisse... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Quand il s'agit d'Alexandre le Grand, il n'y a pas grand-chose qui puisse m'arrêter. Je me suis donc précipité sur ce "Consentement d'Alexandre" dès sa parution, sans trop savoir à quoi m'attendre puisqu'il s'agit du premier roman de son auteur et que, fatalement, je n'en avais lu aucune critique... En premier lieu, j'ai tout de suite été rassuré et agréablement surpris par l'écriture de Francois-Xavier de Villemagne. Celle-ci est élégante, classique dans le bon sens du terme : ni pompeuse ni simpliste, en bref irréprochable. Sur le fond, on a là un vrai roman historique, en ce sens qu'il respecte les faits et l'époque dans laquelle ils s'inscrivent sans être prétexte à évoquer les problématiques de notre temps. Cette authenticité se retrouve notamment dans un détail toujours important à mes yeux : les mesures se font en coudées, stades, etc. au lieu des horribles centimètres et kilomètres qui polluent un trop grand nombre de romans se voulant historiques.

Comme le montre la carte présente en début d'ouvrage, l'action se déroule entre la conquête de la Sogdiane et la campagne indienne, soit entre -328 et -325 : une période assez courte, donc, mais suffisamment riche en événements pour occuper ces 550 pages. le point d'orgue en est le renoncement d'Alexandre lorsque, parvenue en Inde au bord du fleuve Hyphase, son armée le contraint à faire demi-tour et à abandonner ainsi ses rêves d'empire universel. Parmi les figures bien connues de l'épopée, seuls le roi et son épouse ont ici un rôle significatif, les autres n'étant présentes qu'en arrière-plan. L'auteur fait plutôt le choix de mettre en évidence des protagonistes aux fonctions et aux origines variées : un arpenteur juif, un prince indien (Chandragupta, personnage réel mais dont le rôle dans cette aventure est inventé pour l'occasion), un général macédonien (fictif mais plus ou moins inspiré de Coénos), une courtisane et un pirate massaliotes... ce qui, loin d'être un simple artifice narratif, rend bien compte de la diversité au sein de l'armée et de l'empire d'Alexandre.

En parlant des personnages et de leurs intrigues, le triangle amoureux entre Roxane, Kaïros et Laïs prend peut-être un peu trop de place à mon goût, sans être non plus rédhibitoire. Plus intéressante est la psychologie d'Alexandre, dont les hésitations, qui augmentent à mesure que l'armée progresse vers l'Orient, sont l'un des fils rouges du roman : en public, il apparaît comme un demi-dieu invincible et inflexible, mais dans la solitude de sa tente il a la sensation de ne plus s'appartenir et paraît dépassé par son entreprise extraordinaire... La complexité de ce personnage fascinant est plutôt bien rendue. Précision importante : on a beau raconter une campagne militaire, ce n'est pas l'aspect purement guerrier qui intéresse l'auteur. Peut-être est-ce dû au fait que celui-ci soit ingénieur et grand marcheur (avant ce premier roman, il a publié les récits de ses pèlerinages), on s'attache davantage aux aspects pratiques et logistiques de l'armée : déplacement, ravitaillement, construction de ponts... C'est un parti pris qui m'a plu, et qui permet au roman de se démarquer dans l'abondante littérature sur Alexandre, où il est plus souvent question de stratégie et d'exploits guerriers.

Écrit par un auteur peu connu, publié par un éditeur (très bon au demeurant) spécialisé non dans le roman historique mais dans les récits de voyage, et abordant de manière sérieuse un sujet dont je doute qu'il soit très vendeur aujourd'hui... je crains que ce "Consentement d'Alexandre" pourtant plein de qualités soit malheureusement voué à passer assez inaperçu. Mais si par cette modeste critique je pouvais attirer sur lui l'attention de quelques lecteurs, j'en serais ravi : il le mérite amplement.
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Un livre qui démarre fort et que l'on n'a pas envie de lâcher. Dans ce roman très riche et extrêmement bien documenté, j'ai vraiment vécu avec les personnages : ce n'est pas quelqu'un qui me racontait une histoire mais j'étais vraiment dans l'histoire, en compagnie de personnages bien campés et qui possèdent chacun leur personnalité propre. Bien que le livre soit long (550 pages), cela ne m'a pas rebuté et d'ailleurs, ce n'est pas inhabituel pour les romans historiques. Et c'est aussi plus qu'un roman historique : roman psychologique – on entre vraiment dans la tête d'Alexandre pour suivre sa transformation, son balancement entre l'homme et le mythe – et roman qui fait la part belle aux sentiments – le triangle amoureux entre Alexandre, Roxane et le Kaïros, le général qui mènera la rébellion de l'armée ne sert pas seulement de prétexte et entretient le suspense tout en se mêlant à l'action principale.

Dès les premières pages, on entre dans l'histoire avec l'assaut incertain d'une forteresse inexpugnable aux confins de l'Ouzbékistan actuel et le récit se poursuit sur une durée d'environ 18 mois dans les actuels Afghanistan et nord du Pakistan jusqu'à la frontière avec l'Inde. Les décors de cette Asie centrale sont très bien rendus. On s'y croirait ! La mousson, par exemple, est très réaliste. J'ai vraiment été transportée hors du temps et de l'espace.
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le livre de François Xavier de Villemagne, le consentement d'Alexandre,
est de ceux qui au fil des pages,
vous emportent, dans un parfait français,
aux confins des contrées oubliées, inaccessibles où les traces des armées antiques sont encore visibles, ces vallées, ces escarpements et ces sommets invincibles ne résonnent ils pas encore du cri des soldats d'Alexandre ?
Tout dans ce roman historique nous transporte, avec ces personnages si bien peints, dans le chaos d'une armée en campagne, jusqu'au bord du fleuve où le destin s'arrêtera.
Une très belle plume.
Bravo.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
[Roxane danse devant Alexandre et ses Compagnons]
Dans l’assistance, les compagnes, les épouses, les maîtresses se sentirent brutalement dénudées, comme si l’autre, d’un geste charmant et brusque, leur avait arraché des épaules un manteau qui les protégeait. Laïs chercha en vain chez la danseuse un de ces légers défauts où la jalousie se rassure et que l’on suçote ensuite avec délectation, que l’on susurre aux oreilles avides sans craindre d’être accusée d’envie. Elle aurait donné volontiers un peu de son existence pour que cette femme devînt laide, tout de suite, et elle haïssait ce corps rayonnant de légèreté, euphorique et insouciant. Détournant les yeux de la jeune fille, elle braqua son regard sur les spectateurs. Ces hommes qui, pour certains, n’étaient que des brutes et pour d’autres invoquaient le secours de la philosophie, semblaient plongés dans une commune contemplation qui les dérobait à eux-mêmes et au monde qui les entourait. Laïs lut dans les yeux de chacun une fascination que ne suffisait pas à expliquer le simple désir. Et Kaïros, lui aussi… Elle le tira par la manche, deux fois… Il consentit enfin à tendre l’oreille, mais ne quitta pas des yeux la perfection qui le charmait. « Oui Laïs, que dis-tu ?… » Il se rappela les mots que sa maîtresse avait murmurés dans la crainte de la nuit de l’attaque : « La plus belle femme d’Asie. » Ce ne pouvait être qu’elle, Roxane, la Resplendissante.
Alexandre avait été saisi comme les autres par l’enchantement. Assailli à l’improviste, il se sentait enveloppé d’une douceur qui le désorientait. Lorsque le ravissement lui laissa un peu de répit, il emprunta le même chemin que Laïs, cherchant une imperfection du corps, un défaut dans l’attitude, un détail qui agace, qui éclipse et rend insupportable tout le reste. Mais il ne voyait rien. Émerveillé, il gravissait un à un les degrés sur l’échelle que le dépit avait fait descendre à la maîtresse de Kaïros. Et à mesure qu’il s’élevait, les conquêtes militaires des dix dernières années s’enfonçaient dans la brume, l’Inde disparaissait de la surface du monde. Fasciné au point d’en perdre la mémoire, de tout oublier sauf ce qu’il voyait ou entendait, il contemplait, interdit, la splendeur de Roxane.
Aucun de ceux qui la voyaient pour la première fois ne cherchait à comprendre et les autres n’y étaient jamais parvenus. La beauté de la jeune fille, la grâce de ses mouvements, la virtuosité et la maîtrise de ses pas, l’expression lumineuse de ses traits, l’accord charnel avec la musique ne suffisaient pas à expliquer l’envoûtement dont chacun s’était senti saisi dès son apparition. Il régnait au-dessus de tout cela comme une manière d’habiter avec délectation chaque pouce de son corps qui dépassait l’entendement, une félicité inouïe de l’instant qui irradiait l’assemblée et la laissait sans voix. Chacun ressentit une volupté qui faisait vibrer très profondément un ressort essentiel de son être. Aristonos comprit qu’avec une telle image au cœur, il n’éprouverait plus jamais de crainte lors des prochains assauts. Stasicratès, le sculpteur qui avait proposé à Alexandre de tailler son effigie dans les falaises du mont Athos, buvait la danseuse du regard et se demandait comment il pourrait, en une seule statue, exprimer tous les sortilèges de cette femme. Agis, le poète d’Argos, se souvint qu’Hésiode avait vu les Muses danser au lever de l’aurore, et son ami Anaxarque se rangea, l’espace d’un soir, à l’opinion d’Aristote qui fait l’éloge de la beauté et la regarde comme l’une des trois parties du souverain bien. Laïs ne put s’empêcher de se remémorer comme d’une piqûre lointaine le soir où, pour la première fois, elle avait dansé pour le Grand Roi. Histanès, le frère de Roxane, se rengorgeait. Ceux-là mêmes qui étaient trop saouls pour raisonner percevaient obscurément qu’ils vivaient un moment de grâce. Alexandre avait dépassé l’inquiétude de la gloire. Et Perdiccas avait oublié Antigone.
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Un soir de répit, Alexandre retint Kaïros dans sa tente pour tenter de lui faire comprendre ce qui le tourmentait. De Roxane, il ne dit mot car il ne savait pas comment s’y prendre, mais il parla du poids de la légende, de son humanité retrouvée et de son déchirement entre ces deux extrémités. Du moins, c’est ce qu’il aurait voulu dire, mais quand il s’y essaya, Kaïros ne voulut pas y croire.
— Toi, Alexandre ? Perdu ? Si c’était vrai, tu n’aurais pas, il y a une heure, détaillé les objectifs des prochaines semaines avec autant de clarté et de force…
— On ne remarque donc pas trop mes efforts pour donner le change ?… Mais c’est que je ne peux pas m’empêcher de poursuivre la conquête !
Au fur et à mesure qu’il parlait avec Kaïros, il comprenait qu’il ne s’agissait pas seulement de savoir qui il était réellement, mais aussi ce qui lui restait de liberté dans ce qu’il entreprenait.
— Essaye d’oublier ceux qui proclament que je suis l’homme le plus puissant de la terre… Oublie-les tous !… Voilà… Il ne reste plus que toi et moi… Eh bien, écoute maintenant : j’ai parfois l’impression d’être devenu l’esclave d’un Alexandre qui me dépasse… Non, laisse-moi continuer ! Tu te rappelles, quand je te parlais, avant que tu n’ailles chercher des renforts, de ce pressentiment obscur : “… comme si ce n’était plus un désir qui venait de l’intérieur, mais une nécessité qui s’impose à moi…” ? C’était cela : une nécessité, un destin qui ne me laisse plus choisir !… Et ça ne date pas d’hier !
Il remonta aux origines de la campagne. Aurait-il pu ne pas envahir l’Asie Mineure ? Non : tout avait été disposé, l’idée de la conquête avait imprégné le règne de son père et celui-ci lui avait légué la meilleure armée du monde ; la Grèce avait besoin de nouvelles colonies, les Perses étaient vulnérables, le moment favorable était venu et ensuite, les événements l’avaient porté. Naturellement, il avait forcé le destin en plusieurs occasions, mais était-ce vraiment lui ou plutôt la Fortune qui avait offert l’infime secours qui renverse tout ?
Cela avait un jeu de voir succomber les uns après les autres tous les peuples de Darius. Peut-être rien de plus qu’un jeu…
— Comme une fringale irrésistible devant un plat de pistaches de Médie ! Où est alors la liberté ?
À plusieurs reprises Kaïros faillit interrompre son roi, car cette démystification avait quelque chose de terrifiant. Mais ce qu’il y avait de plus terrifiant encore, c’était la froideur avec laquelle Alexandre analysait ce qu’il appelait sa servitude, et qui contrastait avec les accents passionnés dont il usait souvent pour galvaniser les hommes.
— … alors que cette légende, qui m’oblige aujourd’hui à la grandeur et me dépossède de moi-même, c’est moi qui l’ai bâtie jour après jour, presque sans le savoir !
— Tu parles comme si plus rien n’existait au monde que toi et ta légende ! Que fais-tu des cent mille hommes de l’armée de l’Inde, des millions de l’Empire ?
— Ce sont eux qui exigent en premier lieu la grandeur d’Alexandre ! Cette campagne de l’Inde, comme moi, ils la veulent !
— “Ils la veulent”, dis-tu… Et si la volonté de tous se dissociait un jour de la tienne ?
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Le bagage d’Eumène flambait. Des chevaux et des mulets déjà attelés aux chariots de transport ruaient dans leurs brancards, terrorisés par l’incendie qui gagnait du terrain. Un valet qui avait tenté d’en libérer quelques-uns gisait sur le sol, la tête ensanglantée par un coup de sabot.
— Souvenez-vous des armées de Darius ! Il y avait des lâches, des pleutres et des hommes qui ne songeaient qu’à se vautrer dans le luxe. Des armées incapables de manœuvrer parce qu’elles pensaient d’abord à protéger leurs trésors. Et nous, les Macédoniens, les Grecs, pauvres, légers, rapides, nous les avons terrassés !
Alexandre savait d’expérience que seuls des sentiments excessifs impressionnent les foules. Alors, il exagérerait sans vergogne, il affirmait, assénait, répétait sans tenter de démontrer quoi que ce soit par un raisonnement.
— Ce qui brûle aujourd’hui n’est rien devant ce qui nous attend demain. Et je vais vous le prouver en incendiant moi-même tout ce que je possède et qui ne sert à rien !
À ces mots, Alexandre sauta à terre, traversa la multitude qui s’écartait sur son passage et alla s’emparer d’un débris enflammé qu’il brandit à la face des soldats. Puis il courut vers ses propres chariots, entraînant à sa suite une foule hypnotisée.
— Voyez, cria-t‑il en mettant le feu à un premier chargement, ne craignez pas et brûlez comme moi tout ce qui est superflu. Et ensuite nous partirons vers l’Inde. Les dieux le veulent ! […]
Le feu se propagea vers l’enclos des montures royales. Alexandre s’y précipita et fit ouvrir les barrières pour éviter que les chevaux affolés ne se blessent en sautant par-dessus les clôtures. Il courut vers Bucéphale et l’enfourcha avant de revenir vers la foule. Les hommes avaient disparu et à leur place, empruntant leurs vêtements, un être nouveau, tentaculaire, grondant, doué d’une volonté autonome et de pulsions qu’aucun individu n’aurait manqué de réfréner s’il avait été isolé, s’emparait de l’espace brûlant, obsédé par le désir de l’étendre et sourd à toute supplication.
Comme l’embrasement général la privait du plaisir d’enflammer, la masse exaspérée suivit les exhortations d’Alexandre et tourna sa fureur contre les bagages de l’armée, ses propres richesses, qui attendaient sur le bord des chemins l’ordre de s’ébranler en une immense et poussive caravane. Une vague d’incendiaires déferla sur le camp. Le nombre leur donnait le sentiment d’une puissance invincible, ce même élan, se disait Alexandre, qui les propulse à l’assaut et bouscule l’ennemi.
Armés de torches improvisées qu’ils avaient extraites des brasiers, les meneurs étoilaient le camp de rivières enflammées, indifférents à la révolte et à l’incompréhension, entraînant à leur suite une marée qui grossissait de tous ceux que le dépit d’avoir perdu leur bien exaspérait d’un désir de vengeance. Certains se retournaient pour avertir ceux qui arrivaient toujours, certains s’arrêtaient, certains voulaient reculer et d’autres criaient : « En avant, en avant ! »
— Débarrassons-nous pour atteindre plus vite les trésors de l’Inde !
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Hylas devinait sans peine la destination de la fillette, car les trafiquants d’esclaves emmenaient à Corinthe leurs plus belles marchandises, sachant qu’ils y trouveraient de riches acheteurs à la recherche de filles suffisamment belles pour être vouées à Aphrodite.
— Nous étions six filles. La plus âgée avait 12 ans et la plus jeune pas plus de 8. On nous conduisit chez Bacchis, une femme très riche, ou du moins je croyais qu’elle l’était, car je n’avais jamais vu tant de vaisselle d’or dans une maison. Ce n’était pas une prison, mais où aurions-nous pu aller ?
Alors Laïs raconta l’éducation qu’elle avait reçue, avec ses nouvelles compagnes, pour servir au temple de la déesse et satisfaire les désirs de ses dévots. Elle parla de la danse, du chant. Elle évoqua les leçons de bonnes manières – « Au lieu de te jeter sur les plats comme une malapprise, touche délicatement les mets du bout des doigts, prend chaque bouchée en silence et sans te remplir les joues. Bois doucement, par petites gorgées, et ne t’enivre pas car c’est ridicule et les clients détestent les femmes ivres… » – Les apprêts pour mieux séduire, les fards, les artifices et les secrets qui permettent de s’embellir. Elle parlait de ce monde-là comme d’une colonie de femmes vouée à l’initiation des mystères et d’où l’autre sexe semblait proscrit.
— Et les hommes, alors ? demanda Hylas avec sa brutalité de marin tripotant les filles de port.
Oui, les hommes, dès le début. À peine quelques jours après son débarquement. Elle en avait pleuré de honte malgré les admonestations de Bacchis. « Voyez le grand malheur ! Tu deviendras riche, tu auras beaucoup d’amoureux. Pourquoi pleures-tu, Laïs ? Ne vois-tu pas tout ce qu’il y a de courtisanes, comme elles sont recherchées, combien elles gagnent d’argent ? J’ai connu Daphnis en haillons quand elle était petite. Vois maintenant comme elle est mise avec ses bijoux, ses robes brodées et ses quatre servantes ! »
— J’ai passé deux ans à Corinthe dans la maison de Bacchis. Elle espérait qu’un de ses clients m’achèterait pour m’offrir au temple d’Aphrodite, mais personne n’offrait un prix suffisant à ses yeux. Parmi les clients étrangers que je revoyais irrégulièrement, au rythme de leurs escales, se trouvait un marchand de Milet, en Asie Mineure. Il négociait des convois de blé avec la Grèce et me demandait toujours lorsqu’il débarquait à Corinthe. Il me disait qu’il était horriblement malade en mer par mauvais temps, et il avait la jambe droite plus courte que l’autre, ce qui lui donnait le pas chaloupé des matelots. Il était moins vulgaire que d’autres et me faisait de menus cadeaux en cachette de Bacchis. Un soir, il vint me trouver et me déclara que je vivrais désormais avec lui. Il lui en avait coûté la somme exorbitante de 1 000 drachmes.
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L’armée poursuivit sa progression vers l’est. Extérieurement, Alexandre n’avait pas changé, planifiant et mettant en œuvre des manœuvres brillantes, ménageant ses hommes, parfois ceux de l’ennemi, préférant toujours une négociation à un carnage et déplaçant avec lui le centre du monde. Mais il n’agissait plus qu’avec une fraction de lui-même, écœuré par ce qui autrefois le comblait. Alors, comme tous autour de lui ne parlaient que de la conquête, il se mit à accuser Roxane de lui en avoir ôté le goût. Si elle avait été à ses côtés, jamais sans doute ne lui aurait-il fait telle injustice, mais elle était loin, justement, sans défense. Bien qu’il gardât d’elle l’image d’une femme aux traits sublimes, elle devint exactement cela dans sa mémoire : une belle image, qui se vidait peu à peu de son humanité.
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