"Un portrait appartient à celui qui le regarde ."
Pierre Assouline.
J'ai dû me tordre le cou pour revoir l'affiche tant j'avais de mal à croire à ce qu'elle m'annonçait: une exposition Sanyu au musée Guimet. Sanyu, ce peintre chinois resté très ignoré du monde de l'art, était-il enfin sur le point d'être reconnu par Paris où il avait vécu et travaillé quelque quatre-vingt ans plus tôt, et qui l'avait laissé sur le bord du chemin de la célébrité ? (...)
J'étais allée dès le lendemain à Guimet visiter l'exposition. Les salles où elle se tenait étaient presque désertes. La célébrité n'avait pas encore l'air d'être au rendez-vous pour Sanyu. Contemporain de Foujita dans le Montparnasse des années trente, ayant comme lui fait le choix de vivre en France, il était bien loin d'avoir atteint la renommée du Japonais(p. 13-14)
Si, pendant la nuit, un des pitons vissés à l'épais cadre sculpté n'avait pas cédé, si le tableau ne s'était pas décroché et, tombant sur le bureau Louis XV, n'avait pas renversé le buste de l'oncle Le Picard, peut-être ne me serais-je jamais intéressée à l'histoire de Jean Lacoste. A quoi tiennent les choses?
Je n'avais probablement pas lu, au moment de sa parution, il y avait quarante ans de cela, l'article de Roché sur sa "brave petite collection". l'aurais-je lu que j'aurais certainement oublié le passage où, pour évoquer celles de ses oeuvres qui n'avaient pas "atteint la gloire", il les compare amoureusement à des "Belles au bois dormant". Les tableaux de mes parents, les Serge Férat, les Prunat, les Sanyu, étaient justement de ces belles endormies que personne n'était venu réveiller. (p. 230)
Les beaux jours arrivaient et Marie avait décidé d'emmener le petit Auguste à Châtenay pour lui faire profiter des bienfaits de l'air de la campagne. Elle était persuadée que "suivre le route de la nature" était la meilleure chose qui fût pour la santé de notre fils et même pour son éducation. J'avais beau parfois sourire de ses convictions nées de sa lecture des livres de Jean-Jacques Rousseau, je ne pouvais, dans l'ensemble et surtout en ce qui concerne la santé, que l'approuver.
Si le savant [M. Lavoisier] était admiré par ceux qui connaissaient ses travaux et voyaient dans l'aboutissement de ses recherches l'espoir de changements pour le bénéfice de l'humanité tout entière, le fermier général, lui, était unanimement détesté à Paris, en tant que responsable de la construction d'une muraille encerclant la ville, moyen qu'il avait trouvé pour imposer une taxe sur chaque marchandise qui la franchissait. Les Parisiens se plaignaient qu'on les enfermât comme dans une prison où l'air allait leur manquer, disaient-ils. Mais leur principale doléance demeurait de devoir payer des droits de douane qu'ils jugeaient intolérables. "Le mur murant Paris rend Paris murmurant" disait-on dans les cafés.
Depuis deux ou trois ans Roché s'intéressait à un jeune peintre, surnommé le "Matisse chinois". Né avec le siècle dans la province du Sichuan, Sanyu-tel était son nom-était arrivé à Paris il y avait une dizaine d'années dans le but de devenir peintre. A ses yeux, comme à ceux du monde entier, Paris et spécialement Montparnasse étaient le centre du monde de l'art. Après avoir étudié la calligraphie au Japon, c'était à la Grande Chaumière qu'il s'était inscrit pour recevoir une formation à l'art occidental et il appartenait maintenant à ce groupe cosmopolite de peintres qui constituaient dans les années trente l'école de Paris, dont l'autre membre asiatique était Foujita. (p. 141)
Et pourtant cette fin d'après-midi de printemps de l'année 2004 reste pour moi inoubliable. Quand j'y repense aujourd'hui, je suis encore étonnée de l'importance de la place du hasard dans le cours d'une vie. Hasard, destin, providence ? Qui peut le dire ?
(...)
Personne ne m'avait parlé d'une exposition Sanyu, Sanyu dont, depuis la mort de mon frère, je possédais les deux tableaux qui lui venaient de nos parents. Il faut dire qu'elle n'avait pas fait grand bruit à Paris, cette exposition. Au reste qui aurait pu m'en parler ?
Personne autour de moi ne savait qui était ce peintre . Ni les amateurs d'art, ni ceux qui ne l'étaient pas. (p. 229)
Parmi ces membres fondateurs, il y avait deux femmes, Angelica Kauffmann et Mary Moser, toutes deux fort bien en vue à la cour. [...]N'en concluons pas trop hâtivement à une attitude spécialement libérale des Anglais vis-à-vis des femmes artistes. Au contraire, il faudra en effet attendre un siècle et demi pour qu'une troisième femme soit admise à pénétrer dans cette illustre assemblée.
Se séparer de sa librairie, voilà le sacrifice qui va lui être imposé.
(...) C'est à celle qui l'a si bien conseillée au moment de sa création que Von cède alors sa librairie. Sous la nouvelle direction de Madeleine Feuchtwanger, désormais la Librairie Yvonne Vierne va changer son nom pour celui de la Porte étroite, ce que ma mère n'a pas eu le temps de faire, faute d'avoir pu rencontrer André Gide.
De toute façon, il valait mieux pour elle ne pas parler de Gide rue de l'Université, le "Familles, je vous hais!" des -Nourritures terrestres -aurait été trop difficile à expliquer.
Rien ne s'opposait plus au mariage de mes parents, bientôt célébré à Saint-Thomas d'Aquin, en la chapelle Saint-Louis, le 21 mars, jour du printemps de l'année 1924. (p. 126)