Rencontre avec les "autres" éditeurs de l'imaginaire Part 3
Me perdre en Patagonie. Des glaciers accrochés aux sommets des montagnes, des kilomètres de désert de broussailles des fleuves aux eaux vertes, des villages désolés, des hors-la-loi à la nationalité douteuse, la main sur le couteau, deux océans qui se jettent violemment l’un contre l’autre, ça fait envie, non ?
Tu disais que tous ces enfants allaient vieillir un jour, que leur sourire, leur visage, les mots qu’ils auraient prononcés un matin en se levant avant d’aller à l’école, les rêves qu’ils auraient faits cette nuit-là, tout allait cesser d’exister. Tu n’acceptais pas que même les instants les plus insignifiants puissent disparaître, être oubliés, que la vie ne soit finalement qu’une accumulation de choses disparues. Tu me faisais frémir, parfois, avec tes théories étranges sur le temps qui passe.
"Parfois, tout nous échappe... On croit tenir quelque chose, et rien n'est là quand on se retourne."
"Tu n'acceptais pas que même les instants les plus insignifiants puissent disparaître, être oubliés, que la vie ne soit finalement qu'une accumulation de choses disparues."
"Etudier les traces des civilisations perdues ou les errements de l'âme humaine, c'est observer le même objet sous deux angles de vue différents."
"Le temps n'existe pas, la réalité non plus, tout n'est qu'un écoulement fantomatique. Refuser de le voir n'est que le moyen masochiste que l'on a trouvé pour éprouver la douleur d'être en vie, ad nauseam."
"J'ai appris cela des guérisseurs indiens : s'asseoir, se taire, se pencher au plus profond de soi - et voir le monde que luit tel un soleil."
Jack était juste un génie précoce. Un géant abandonné sur les rives d’une civilisation où il valait mieux devenir comptable, ou employé au CHU, que prophète ou artiste incendié de l’intérieur. Tant pis pour vous si votre ADN flirtant avec celui des shamans. En Mongolie ou en Sibérie, à une autre époque, il aurait commandé au tonnerre et à la foudre et serait devenu le guide spirituel d’une coalition de tribus.
« – Tu disais que tous ces enfants allaient vieillir un jour, que leur sourire, leur visage, les mots qu’ils auraient prononcés un matin en se levant avant d’aller à l’école, les rêves qu’ils auraient faits cette nuit-là, tout allait cesser d’exister. Tu n’acceptais pas que même les instants les plus insignifiants puissent disparaître, être oubliés, que la vie soit finalement qu’une accumulation de choses disparues. Tu me faisais frémir, parfois, avec tes théories étranges sur le temps qui passe.
– Je ne supportais pas que tous ces moments que notre mémoire n’enregistre pas ne laissent aucune trace, ne servent à rien. Et que nos vies ne se résument qu’à quelques lignes lues à la va-vite le jour de notre mort, face à la gueule béante de la fosse creusée dans la terre. La solution était d’archiver tout ce qui constitue notre existence.
– Chaque jour le présent dévaste ce qui fut, a-t-elle murmuré. »
Arrête de te faire croire que tu ne sais pas où tu en es. Tu es paumé parce que tu as laissé ta mère te fabriquer un petit enfer de grâce et d’oubli. Brûle tes foutues boîtes. Moi je vais attendre ici que l’on vienne me chercher, « C’est l’heure de la cantine, monsieur Jack », et je mettrai mon doigt dans le cul de ces infirmiers qui ont tant de poils sur les bras que ça me donne envie de les mordre jusqu’au sang, de leur arracher leur peau de lapin pour dégager l’homme qui est là-dessous – c’est un enfant qui pleure, oui, je sais Adam. Alors prends ton enfant qui pleure sous le bras et tire-toi d’ici tant qu’il est encore temps. Va embrasser ton père sur le front une dernière fois, si ça doit t’aider à trouver l’illumination. Tu sais quoi, Adam, tu fais chier à copier la geste de ma déroute, elle m’appartient, je t’aime, alors tu fais chier.
Depuis sa disparition, onze ans auparavant, il ne m’avait jamais donné aucune nouvelle. Je n’avais rien oublié. Je me souvenais de lui comme s’il était parti hier.
Adam murmure, il murmure et le vent, l’air sont une compresse douce contre ses lèvres, un pansement de silence. Il ouvre la bouche, ses yeux, sa poitrine, et il est presque aussi grand que le terrain dénudé autour de lui, presque aussi grand que le quartier, la ville, la rade, il devient la rade, l’océan et la houle – il y a quelque chose qui se tient là, quelque chose ou quelqu’un.
J'ai cru que mon ventre allait s'ouvrir et laisser s'échapper un singe en rut. Jamais imaginé qu'on puisse mettre un terme aussi radical à tout espoir de rédemption.
Ce paysage me donnait depuis toujours l'impression que tout n'était qu'affaire d'humilité devant la puissance sans réserve de la mer.