Seul Clovis éprouva une gêne au moment de la mise à mort. Il ne connaissait rien de plus effroyable que les cris d'un cochon dont on tranche le cou. Il se boucha les oreilles un long moment en pleurant un peu, tandis qu'il faisait chauffer une gamelle pour cuire le boudin.
Depuis toujours il arrivait à soigneusement séparer son univers privé et celui de son travail. Cette habitude était d'ailleurs devenue rapidement une condition nécessaire à sa survie. Travailler n'était guère assimilable pour lui qu'à une fonction biologique des plus élémentaires, indispensable et rebutante à la fois.
Les seules interférences qu'il tolérait étaient toujours en rapport direct avec l'organisation de son service : passer un week-end avec son supérieur ou bien aller à son enterrement ne relevaient pas pour lui d'une quelconque forme de vie sociale, mais constituaient bel et bien un sacrifice à caractère professionnel, comme des heures supplémentaires non payées en quelque sorte.
_ Ce sont des mots, juste des mots et les mots ne veulent rien dire. Rappelle-toi ! Toi, tu voulais la jeter hors du bateau pour la noyer.
_ Mais ça n'a aucun rapport. On jouait !
_ C'est pareil. Un jour on souhaite la mort de quelqu'un, un jour on dit qu'il ne faut pas tuer les gens. Ça n'a pas plus de sens dans un cas que dans l'autre. On tue des gens chaque jour. Quand on ne les tue pas, on souhaite leur mort. Pour notre confort ou pour d'autres raisons. Moi, je suis allé jusqu'au bout, quand d'autres en restent aux mots. Voilà tout. Qu'est-ce que ça change que cette femme vive ou non ? Les choses n'ont pas plus ou moins de sens. Elle ne t'était rien de toute façon... Rien qu'un mauvais souvenir qu'il faut chasser.
Ce Monsieur Garçonnet, toujours parfait, toujours précis l'avait inquiété dès le premier jour. Il se sentait en sa présence comme un herbivore qui ne peut faire autrement que partager son point d'eau avec un crocodile immobile mais à l'oeil trop actif.
Une fois rentré chez lui, il passa un long moment à contempler l'arme. Il fit plusieurs fois jouer le mécanisme qui dégageait l'arc en le ramenant perpendiculairement au fût. Le contact de la corde rêche était agréable. Les carreaux surtout avec leurs lames acérées et leurs empennages synthétiques étaient de beaux objets, à la fois très simples de conception mais finis avec un très grand soin. Il ne se lassait pas de les toucher en mesurant leur équilibre parfait sur le bout de ses doigts.
Il raccompagna madame Tobiac à la porte sans un mot, contrôlant un mouvement de répulsion lorsqu'elle lui imposa la présence tiédasse de sa langue dans la bouche pour un baiser que les haleines matinales rendaient peu érotique. Le pire était encore à venir. Laissant briller dans ses yeux une lueur intense, elle lâcha d'une voix étranglée par l'émotion :
"Je t'aime, toi, tu sais."
Le vieil homme fit mine de ne pas remarquer son nouveau revers......c'était peut-être une sauce safranée avec beaucoup de cannelle et de girofle qu'il lui faudrait essayer. De toute façon , il était rempli d'aise par les taches incroyables sur la table et les manches de Babette.
Ces contacts humains au cours desquels le langage se réduisait à des cris d'oiseaux qui se rassurent les uns les autres en faisant vibrer l'air mais sans rien se dire l'exaspéraient.
En entendant son propre éclat de rire résonner de voûte en voûte tandis qu'il reprenait son errance , Wu se demanda s'il avait perdu la raison. Et il rit de plus belle.
Prenant part à une campagne de soutien au moral des troupes qui bientôt sortiraient des tranchées pour exécuter l’offensive, Charles de Moursault devait visiter ce matin le secteur Gasgogne. Il n’irait pas en première ligne , bien sûr, mais on ferait descendre quelques soldats bien typiques pour prendre des photographies qui raviraient les français. (p 272)