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Citation de Charybde2


Certaines des questions anthropologiques et politiques les plus vives posées par la crise écologique sont des questions de dramaturgie et de scénographie : qui parle ? Qui distribue les rôles ? Qui a le pouvoir d’agir et comment ? Qui décide de l’occupation des territoires, de la manière de se déplacer ? Et encore : quelle est la scène de l’anthropos et que signifie la partager, vivre parmi les vivants ? Medium capable de saisir des questions qui dépassent celles de la comédie humaine, le théâtre semble particulièrement adapté pour explorer ces sujets et capter le bouleversement écologique en cours. D’abord parce qu’il sait, depuis les Grecs, mettre en scène les non-humains, faire parler des êtres qui n’ont pas la parole – la prosopopée, figure classique du théâtre, donne une voix aux dieux, aux morts, aux êtres de la nature. Ensuite, parce qu’il interroge directement l’articulation du vivant et du non-vivant. Si l’on veut cesser de considérer la Terre comme un décor immobile, il est utile de se placer justement dans le théâtre et de mettre à profit les ressources de la scène pour penser ce monde devenu actif et acteur, pour explorer la zone métamorphique que nous traversons, où se brouillent les frontières entre le naturel et l’artificiel, entre les phénomènes vivants et inanimés, entre humains et non-humains. Medium particulièrement adapté, encore, parce qu’il constitue l’un des moyens pour explorer la gamme des passions suscitées par le chaos climatique. Chaos qui invite à repenser la Terre sous un angle à la fois dramaturgique (qui sont les acteurs et que font-ils ?), scénographique (quelle est la nature de l’espace ?), et sensible (par quels affects réagir aux bouleversements en cours ?). Or ce vocabulaire du jeu, de l’action et du drame n’est pas seulement métaphorique. Il dit l’entrée sur la scène du monde de nouveaux personnages non humains ; il signale l’urgence d’une situation inédite, et invite à explorer, par la scène, un monde dont on mesure de plus en plus violemment les puissances d’agir.
La Trilogie terrestre est le résultat d’une dizaine d’années d’exploration du théâtre comme terrain d’expérimentation pour tenter de comprendre le bouleversement cosmologique que nous traversons : l’irruption d’un nouveau personnage (la Terre, ou Gaïa) sur la scène du monde. Que signifie faire un théâtre à l’ère de l’Anthropocène, un théâtre de Gaïa (plutôt qu’un théâtre du globe), essayant de prendre au sérieux la transformation dans la consistance même du monde ? Si les questions écologiques, par leur ampleur, leur ubiquité, leur durée, sont au sens propre irreprésentables, alors il revient aux œuvres d’art (qui sont toujours aussi des œuvres de pensée) d’essayer de les présenter à nouveau aux sens. Théâtre et théorie, spectacle et travail spéculatif, monstration et démonstration – ce sont de tels liens, historiques autant qu’étymologiques, que la situation présente nous force à renouer. De fait, une certaine spéculation écologique ne peut se faire aujourd’hui que par les arts.
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