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Frédérique Aït-Touati (Autre)Bruno Latour (Autre)
EAN : 9782490077526
160 pages
B42 (08/10/2021)
4/5   1 notes
Résumé :
Deux premiers volets d'une trilogie théâtrale ambitionnant de mettre en perspective les idées reçues contemporaines sur la planète. La première pièce propose au lecteur une expérience de pensée, celle de se tenir dans ce que les scientifiques appellent la zone critique. La seconde propose un parallèle entre l'époque de la révolution astronomique et le début du XXIe siècle.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Une somptueuse et radicale manière d'envisager le théâtre scientifique pour modifier notre rapport au vivant et au sens d'habiter sur Terre.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/02/20/note-de-lecture-trilogie-terrestre-frederique-ait-touati-bruno-latour/

« Inside » (2016), « Moving Earths » (2019), « Viral » (2021) : trois pièces de théâtre, trois « performances » dans tous les sens du terme ou presque, trois mises en résonance d'installations scénographiques à vocation également muséographique (il suffit pour s'en convaincre de parcourir les espaces physiques et numériques de l'impressionnante « Critical Zones », conçue au ZKM de Karlsruhe – et voyageant désormais dans le monde entier – par une vaste équipe pluri-disciplinaire incluant les deux auteurs de cette « Trilogie terrestre »), issues de la collaboration étroite entre le sociologue, anthropologue et philosophe des sciences Bruno Latour et de l'historienne des sciences, philosophe et dramaturge Frédérique Aït-Touati. Construisant sur les expériences théâtrales légèrement plus anciennes de « Cosmocolosse » (2010), de « Gaia Global Circus » (2013) et du « Théâtre des négociations (Make It Work) » (2015), mais s'alignant aussi en parallèle au travail sur l'espace à redimensionner conduit dans « Terra forma » (2019), les deux partenaires nous offrent avec cette oeuvre triple, dont la superbe « version papier » (subtilement et richement illustrée) a été publiée en 2022 aux éditions B42 (dont on doit à nouveau saluer le salutaire travail), une incursion proprement vitale dans le système que forment aujourd'hui (et doivent former encore davantage) l'humain, le vivant, le scientifique et le terrestre. La préface proposée ici par Frédérique Aït-Touati, « Pour un théâtre-laboratoire », actualise avec intelligence et brio, en intégrant l'impressionnant chemin parcouru ensemble depuis lors, l'article programmatique signé par les deux chercheurs, déjà, en 2009 (« de la paillasse aux planches, dialogue (sans conclusion) sur le théâtre de l'expérience »).

Comme Frédérique Aït-Touati le rappelle dans sa préface, ce télescopage organisé entre la pratique théâtrale, l'installation artistique et la philosophie de l'habitat terrestre et du rapport au vivant n'est pas en soi un « théâtre scientifique » au sens classique du terme, mais une subversion de son habitus le plus canonique. On mesurera ainsi aisément la distance qui sépare cette trilogie explosive et étoilée de créations pourtant impressionnantes, mais fort différentes dans leur usage du monde, telles que le « Apologie d'un mathématicien » (2007) du collectif théâtral londonien Complicite, le « Marbourg » (2010) de Guillem Clua ou même le « Doggerland » (2019) d'Élisabeth Filhol. de la part d'une chercheuse qui, davantage encore que Bruno Latour, a su dès l'origine se pencher avec scientificité et brio sur les liens entre la fiction et la science « en train de se faire » (on se souvient de son précieux « Contes de la Lune » de 2011), il n'est donc pas surprenant que certains passages de ces puissantes mises en théâtre se mettent à résonner à leur tour avec, par exemple, le grand « Un paysage du temps » (1980) de Gregory Benford (qui constituait lui-même en son temps un extraordinaire pendant fictif à « La vie de laboratoire » (1979) de Bruno Latour, justement !), le « Aurora » (2015) de Kim Stanley Robinson (avec sa ruse narrative solide autour de l'absence, précisément, de « Planète B », cette fameuse alternative pour milliardaires visionnaires au saccage inexorable de la Terre) ou encore le « Omniscience » (2017) d'André Ourednik (dont le travail rejoint souvent, par des chemins subtils et détournés, celui incarné par le duo Bruno Latour / Frédérique Aït-Touati). Pour en savoir plus, avant, après ou pendant la lecture de cet ouvrage important, on pourra utilement se référer au bel entretien de Frédérique Aït-Touati avec Chloé Déchery pour Thaêtre (dont sont issues les photographies qui illustrent cette note), à lire ici.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Dans la conférence-performance, nous tentons de montrer que le sublime a disparu parce que nous sommes tous « à l’intérieur ». Il n’existe aujourd’hui plus « d’extérieur » qui permettrait de prendre la distance nécessaire pour vivre et contempler le sublime. La sensation de grandeur causée par la différence de taille entre soi et la chose que l’on observe, qu’il s’agisse de l’immensité de la tornade ou du volcan, a disparu car nous sommes désormais à la taille d’un volcan ou d’une tornade. Cependant, la disparition du sublime a laissé place à un « néo-sublime sombre ». C’est un plaisir profondément pervers qui se manifeste lorsqu’on prend conscience de l’ampleur du désastre. Une certaine forme de pornographie de la catastrophe s’est substituée au sublime. Je pense notamment à ce genre horrifiant qu’est l’éco-théâtre, un genre généralement pratiqué par des personnes n’ayant aucune connaissance et ne portant aucun intérêt à l’égard de la science. L’éco-théâtre confronte le public à la catastrophe environnementale en évoquant des forces destructrices sans limites, de manière aussi creuse qu’abstraite. Dans le domaine des arts visuels, nous observons à ce titre une récurrence du motif des décharges ou des champs pétrolifères. La recrudescence de ce genre a également permis à une nouvelle forme de propagande éco-idéologique d’émerger. Selon moi, les livres de ce genre sont comparables à ces ouvrages fastidieux qui portent sur les médecins nazis. Il existe une forme de complaisance très perverse à l’égard de la catastrophe. Malheureusement, tout cela n’a absolument aucun effet en termes de sensibilisation politique. (Bruno Latour)
Le fait de recourir à des techniques d’horreur dans le but de susciter des émotions fortes ne rend pas une œuvre automatiquement politique. (Frédérique Aït-Touati)
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Les trois pièces présentées ici ne relèvent donc pas de ce qu’on appelle le « théâtre scientifique » : la science n’apparaît jamais comme corpus de savoir constitué dont on voudrait partager, par la scène, les conclusions. Pourtant les sciences sont partout présentes parce qu’il est totalement impossible d’aborder les questions de sensibilité aux menaces écologiques sans passer par elles. Mais ces sciences du système Terre et du climat n’ont pas du tout l’aspect habituel des sciences froides et assurées que l’on s’obstine parfois à vouloir mettre en scène. Elles sont multiples, dispersées et souvent controversées. Elles ne sont pas confinées dans les laboratoires. Elles obtiennent collectivement des résultats extrêmement solides et en même temps chacune est très dépendante des instruments, des crédits, des disputes, des modèles. Le terme de Gaïa, proposé par le scientifique anglais James Lovelock, est idéal pour résumer tout cet ensemble d’instruments, d’intuitions, de modèles, d’hypothèses sur ce que signifie habiter sur Terre. Gaïa est un personnage hybride, tellement multiple qu’elle est récalcitrante aux formes usuelles de régime scopique. Cela fait d’elle un formidable personnage de théâtre.
La science fait aussi théâtre dans un second sens : elle met en scène des acteurs, souvent inconnus, qu’elle découvre et rend visibles. C’est ce que permet de comprendre l’analyse sémiotique des articles scientifiques qui prête une attention aiguë à ce qui agit dans le texte. Aucun texte de pensée ne peut fonctionner sans figures, sans figuration – ce que Deleuze appelait les « personnages conceptuels ». Dans tout article scientifique, y compris le plus technique, une multitude de figures ne cessent d’entrer et de sortir sur la scène du texte, d’agir et d’interagir. Une telle approche, indissolublement sémiotique et dramatique (au sens classique de drama, d’une théorie de l’action) permet de comprendre comment la science se fait en peuplant progressivement le monde d’êtres nouveaux dont elle suit les actions (la « performance » en termes sémiotiques) avant de pouvoir les identifier et les nommer (la « compétence »). En un sens, le théâtre est devenu pour nous le moyen de prolonger sur une autre scène – à côté de la scène du texte – l’observation des acteurs et actants du monde dans toute leur hétérogénéité ontologique. Dès lors, l’une de nos principales questions était de comprendre pourquoi le théâtre se limite le plus souvent à mettre en scène des humains, alors que la science révèle et peuple le monde d’une multitude d’acteurs nouveaux, inconnus, étranges et passionnants. Cette séparation entre deux types de théâtres duplique en quelque sorte le « grand partage » opéré à l’âge classique entre le naturel et le social. Auparavant, dans le théâtre antique ou dans le théâtre élisabéthain, le lien entre le théâtre des humains et le théâtre des êtres de la nature était encore puissant. Dans le passage d’un théâtre en extérieur à un théâtre fermé, à huis clos, s’est accomplie semble-t-il cette séparation : d’un côté le théâtre des humains, théâtre fait de passions, de conflits politiques, de crimes, de désirs, de corps ; de l’autre, le théâtre des êtres de la nature tels qu’ils sont mis en scène dans les laboratoires de la science. À bien des égards, le dispositif architectural, optique et technique qui se met en place à la fin de la Renaissance et va donner lieu à l’émergence du théâtre moderne est conçu pour montrer les passions humaines « purifiées » des puissances d’agir des êtres de la nature. Les scènes de théâtre telles que nous les connaissons sont précisément conçues pour donner à voir avant tout les interactions et les passions humaines. C’est un théâtre qui se déroule non plus avec, mais devant le décor de la nature : rideau de fond de scène à l’imitation des paysages de la tradition picturale, puis décor illusionniste dans lequel s’inscrivent les actions humaines.
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Certaines des questions anthropologiques et politiques les plus vives posées par la crise écologique sont des questions de dramaturgie et de scénographie : qui parle ? Qui distribue les rôles ? Qui a le pouvoir d’agir et comment ? Qui décide de l’occupation des territoires, de la manière de se déplacer ? Et encore : quelle est la scène de l’anthropos et que signifie la partager, vivre parmi les vivants ? Medium capable de saisir des questions qui dépassent celles de la comédie humaine, le théâtre semble particulièrement adapté pour explorer ces sujets et capter le bouleversement écologique en cours. D’abord parce qu’il sait, depuis les Grecs, mettre en scène les non-humains, faire parler des êtres qui n’ont pas la parole – la prosopopée, figure classique du théâtre, donne une voix aux dieux, aux morts, aux êtres de la nature. Ensuite, parce qu’il interroge directement l’articulation du vivant et du non-vivant. Si l’on veut cesser de considérer la Terre comme un décor immobile, il est utile de se placer justement dans le théâtre et de mettre à profit les ressources de la scène pour penser ce monde devenu actif et acteur, pour explorer la zone métamorphique que nous traversons, où se brouillent les frontières entre le naturel et l’artificiel, entre les phénomènes vivants et inanimés, entre humains et non-humains. Medium particulièrement adapté, encore, parce qu’il constitue l’un des moyens pour explorer la gamme des passions suscitées par le chaos climatique. Chaos qui invite à repenser la Terre sous un angle à la fois dramaturgique (qui sont les acteurs et que font-ils ?), scénographique (quelle est la nature de l’espace ?), et sensible (par quels affects réagir aux bouleversements en cours ?). Or ce vocabulaire du jeu, de l’action et du drame n’est pas seulement métaphorique. Il dit l’entrée sur la scène du monde de nouveaux personnages non humains ; il signale l’urgence d’une situation inédite, et invite à explorer, par la scène, un monde dont on mesure de plus en plus violemment les puissances d’agir.
La Trilogie terrestre est le résultat d’une dizaine d’années d’exploration du théâtre comme terrain d’expérimentation pour tenter de comprendre le bouleversement cosmologique que nous traversons : l’irruption d’un nouveau personnage (la Terre, ou Gaïa) sur la scène du monde. Que signifie faire un théâtre à l’ère de l’Anthropocène, un théâtre de Gaïa (plutôt qu’un théâtre du globe), essayant de prendre au sérieux la transformation dans la consistance même du monde ? Si les questions écologiques, par leur ampleur, leur ubiquité, leur durée, sont au sens propre irreprésentables, alors il revient aux œuvres d’art (qui sont toujours aussi des œuvres de pensée) d’essayer de les présenter à nouveau aux sens. Théâtre et théorie, spectacle et travail spéculatif, monstration et démonstration – ce sont de tels liens, historiques autant qu’étymologiques, que la situation présente nous force à renouer. De fait, une certaine spéculation écologique ne peut se faire aujourd’hui que par les arts.
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Vidéo de Frédérique Aït-Touati
Emanuele Coccia invite Frédérique Aït-Touati, Alexandra Arènes & Axelle Grégoire
Dans son dernier livre Emanuele Coccia décrivait le système de métamorphose perpétuelle dans lequel l'être humain s'inscrit. Dans la lignée de cette réflexion, et sous l'égide du beau titre de Jacques Tassin, Écologie du sensible, Emanuele Coccia invite des écrivains, penseurs, scientifiques, poètes, artistes qui ont fait de l'écriture un moyen de faire éclore des paysages du possible. le pari de ces rencontres est que la nouvelle écologie devra partir d'une nouvelle manière d'écrire et de décrire le monde. Après une première séance « tutélaire », avec Gilles Clément et Jacques Tassin, Emanuele Coccia invite les autrices de Terra Forma, un livre-expérience dans lequel il est proposé de repenser la cartographie, en modifiant les points de vue et le vocabulaire traditionnel. Résultat d'une collaboration entre deux architectes dont la pratique se trouve à la croisée des questions de paysage et de stratégie territoriale et une historienne des sciences, il ouvre la voie à un nouvel imaginaire géographique et se faisant politique.
À lire – Alexandra Arènes, Axelle Grégoire et Frédérique Aït-Touati, Terra Forma, éd. B42, 2019.
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