AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Charybde2


Si toute chose veut dire autre chose, il en va de même de la technologie. Ce serait une erreur que de vouloir réduire le menaçant objet-monde des complots allégoriques à la peur nouvelle suscitée par les systèmes d’espionnage et les informateurs dans les années 1960 : alors la droite découvrait une nouvelle génération de gadgets – juste ceux qu’il fallait ! -, et quelqu’un vous écoutait, vous, et seulement vous. J. Edgar Hoover ferait une mascotte des plus anachroniques pour le capitalisme tardif ; et si les angoisses concernant la vie privée semblent avoir reculé, son érosion, voire son abolition tendancielle, apparaît aujourd’hui comme la fin de la société civile. Tout se passe comme si nous nous préparions aux rigueurs dystopiques stéréotypées de la surpopulation dans un monde où plus personne n’a de « chambre à soi », ni de secrets dont quiconque pourrait se soucier. Mais comme toujours, la variable essentielle, c’est la catégorie abstraite de la propriété : elle dévoile ici une transition fondamentale du privé à l’entrepreneurial (the corporate) ; celui-ci démasque celui-là, et rend par conséquent problématique le système juridique sur lequel il s’est lui-même construit. Comment pourrait-il encore exister des choses privées, sans même parler de vies privées, dans une situation où presque tout ce qui nous entoure est inséré dans toutes sortes de cadres institutionnels, qui appartiennent néanmoins à quelqu’un ? telle est à présent la lancinante question qui hante la caméra qui scrute nos différents mondes vécus, à la recherche d’un objet perdu dont elle n’arrive pas vraiment à se souvenir. D’anciennes esthétiques guident ses gauches tentatives – intérieurs démodés, espaces cauchemardesques qui ne le sont pas moins, antiques objets de collection, nostalgie des artisanats – dans une situation où de nouvelles habitudes adaptées n’ont pu se former et où les boutiques d’antiquités (Balzac, La Peau de chagrin) ont toutes disparu. Non que les objets qui peuplent notre objet-monde aient rajeuni ou vieilli : ils se sont totalement transformés en instruments de communication. Et c’est cela qui remplace désormais les métamorphoses surréalistes, la ville onirique, l’espace domestique de l’homme qui rétrécit, ou l’horreur de l’organique qui caractérise une bonne part de la science-fiction, où, en effleurant un objet, on a la sensation d’être touché par une main.
Pourtant, rétrospectivement, tout ceci aurait pu, dûment récrit, constituer une anticipation de cela, dont la condition fondamentale réside dans la disparition de la Nature. Une fois son éclipse assurée, une opposition comme celle de l’animé et de l’inanimé se voit reléguer au débarras de l’histoire, lequel ressemble moins à un musée ou à une brocante qu’à l’endroit où vont les informations quand on efface accidentellement les données d’un traitement de texte. Une fois les plantes devenues des machines – et sans même qu’un souffle d’air ait balayé le paysage identique à soi -, tout objet se change en signe humain (et bouleverse, non sans qu’on s’y attende, toutes les théories du langage et des systèmes de signes). On n’a plus à présent affaire à des bêtes magiques douées de parole, ni à des « fleurs qui nous regardent à leur tour », mais à ces automates qui, dans Blade Runner (Ridley Scott, 1982) marchent sur le dernier bastion privé : anachronismes qui propulsent le présent dans le lointain futur de la technologie androïde. À présent, toutes nos choses, de quelque étoffe qu’elles soient faites, quelque finalité qu’elles servent, sont susceptibles de devenir de méchantes poupées capables de mordre avec leurs dents pointues (Barbarella, Roger Vadim, 1968).
Commenter  J’apprécie          00









{* *}