C'est dans le cadre de l'hôtel de BEAUHARNAIS (7ème arrondissement) qu'Olivier BARROT présente le livre de Friedrich GLAUSER, "Le thé des trois vieilles dames", paru aux éditions Le Promeneur. Olivier BARROT parle de la vie de Friedrich GLAUSER, auteur de romans policiers et du livre qui se situe dans la Genève de l'entre deux guerres.
L'homme au journal, je ne sais pas comment l'appeler autrement, le monsieur au journal, est toujours caché derrière son journal. Si cela vous intéresse, c'était le Temps qu'il lisait, un grand journal, pratique pour se cacher.
Studer se souvint d'un ami avec lequel il avait autrefois travaillé à Paris. Il s'appelait Madelin et était commissaire divisionnaire à la police judiciaire. Un homme maigre, sympathique, qui pouvait ingurgiter des quantités incroyables de vin blanc sans être soûl. Fort de ses vingts ans de service il avait dit un fois à Studer :
- Studer (il disait Studère) crois-moi, plutôt dix meurtres en ville qu'un seul en campagne; les gens se serrent les coudes, ils ont tous quelque chose à cacher... tu ne peux rien savoir, rien du tout. Alors qu'en ville... mon Dieu oui, c'est plus dangereux, mais tu connais tout de suite les gens, ils bavardent, il bavardent trop... Mais à la campagne !... Dieu nous garde des meurtres à la campagne.
Je sais bien, du reste, qu'une espionne se devrait d'avoir un physique de vamp. Mais qu'y puis-je si les gouvernements qui engagent ces dames ne prennent ordinairement conseil ni auprès des auteurs de feuilleton, ni auprès des metteurs en scène de cinéma? Natacha avait un physique passe-partout. Son visage débonnaire était encadré par des cheveux bruns et plats, qu'éclairaient déjà quelques reflets d'argent. Avec son corps élancé, elle ressemblait à une otarie- de fait, c'était une excellente nageuse.
Les deux assistantes s'appuyèrent contre le mur, le médecin romand semblait s'entraîner à faire des claquettes.
Le docteur Blumenstein se tenait sur une seule jambe et, dans sa blouse blanche, il avait l'air d'une cigogne. Un bourdon frémit dans le silence, se rapprocha, resta quelques instants suspendu devant le nez de Studer; son ventre scintillait, brun et velouté.
Mais le commissaire dut se passer de sa gloire internationale bien méritée; le journal ne publia pas sa photo et ne lui fit pas l'honneur d'une de ces épithètes flatteuses dont les français ont le secret, car Leuenberger se pendit dans sa cellule le soir même sans que personne sache si son âme avait finit par apprendre à voler.
"Curieux comme l'homme haït la tradition, et pourtant, il ne parvient pas à vivre sans elle. Ce combat contre la vision "académique" a débuté il y a bien longtemps, et ce dans la peinture. La progression est évidente entre des peintres comme Gauguin ou Cézanne et des cubistes comme Picasso ou Léger. Et Derain, qui s'est aussi rallié au cubisme, étudie les primitifs italiens. Si, d'aventure, on a lu les Chants de Maldoror du comte de Lautréamont (qui s'appelait en fait Isidore Ducasse et a vraisemblablement fini dans une maison de fous en Belgique), les vers de Huelsenbeck n'ont rien de si étrange :
Peu à peu, le bloc des maisons
ouvrit son ventre en sa moitié
Puis la gorge enflée des églises
héla les abysses en dessus
Ici se chassaient tels des chiens
les couleurs des terres visibles
Mais bien plus que Lautréamont, peu ou prou inconnu, c'est Rimbaud qui a exercé une influence décisive. Ce poète écrit entre seize et vingt ans. Puis il détruit à peu près tous les manuscrits (par hasard, sa sœur en a gardé quelques-uns) et prend la fuite, comme Ball pour ainsi dire "hors du temps", il vit en Abyssinie, rentre, meurt jeune.
De nos jours, où une guerre est très vite oubliée pour faire place à une autre, il est difficile de recréer l'atmosphère de ces temps passés. Nul ne peut nier que le dadaïsme revêtait jadis une certaine nécessité intrinsèque : sinon, comment expliquer l'intérêt que rencontrèrent ces soirées ? En dépit de prix d'entrée exorbitants (ou peut-être grâce à eux), elles affichaient toujours complet. On m'objectera que le public étai snob, attiré par la seule nouveauté. Certes, mais ne sont-ce pas le plus souvent ces snobs honnis qui permettent le développement d'un regard nouveau?"
Vous n’avez pas idée, Studer, de l’influence que le milieu peut avoir. Dix buveurs de schnaps fainéants peuvent rendre cent hommes mauvais. Et la malédiction c’est justement que nous avons dix buveurs de schnaps paresseux. J’ai essayé de faire comprendre aux autorités qu’il fallait se débarrasser de ces éléments… En vain ! Voilà ce qu’on me donne comme réponse : ces gens n’ont rien fait de mal, ils ont sombré innocemment dans le malheur, les autorités en charge des pauvres ont le devoir d’aider ces malheureux.
"Vois-tu, je ne suis pas une secrétaire de la délégation ruse, je suis une espionne."
Le visage du garçon s'altéra. Cette révélation ne s'accordait guère avec sa vision du monde. Pour l'heure, le monde Jakob s'arrêtait à la frontière des vers de quelques poètes du siècle dernier. Dans ces évocations pures et fragiles comme du cristal, les réalités de la politique ou de l'économie n'avaient pas droit de cité.
Dans l’obscurité la parole me vient plus facilement. Quand il fait clair, et si quelqu’un regarde mes lèvres, je me mets à bégayer.
L’antidote du paupérisme, c’est le travail, le travail, le travail. Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger non plus. Même pour le plus vieux, même pour le plus faible se trouve toujours une tâche qu’il est capable d’effectuer… Ainsi, il ne se sent pas inutile et a l’impression de mériter son repas, de gagner son argent de poche comme un salaire et non pas comme une aumône…