Gabrièle Macden

Oui, j’ai honte, j’ai honte d’être sa mère. Une petite fille comme ça, il n’y en a qu’une. Elle est belle, intelligente. Elle a une mère horrible. Je pleure, je pleure encore. Mon cœur est brisé. Ma fille me manque, son odeur et son rire sont un souvenir. Je suis une mauvaise mère. Nathalie ne répond rien à mon récit, je sais qu’elle m’écoute. Elle me juge. Elle juge la mère que je suis. Elle a raison au fond, une mère comme moi ne devrait pas exister. Je suis de celles qui brisent l’âme et la vie d’une enfant par la parole. Je suis devenue celle que je redoute. Une femme sans cœur. Sans peur. Un corps vide d’âme. Je mérite ce qu’il m’arrive. S’il me tue, c’est justifié. Il doit le faire. Je ne dois plus exister, je dois m’éteindre. Je dois mourir et être enfermée dans les enfers s’il y en a.

 L'atmosphère est lourde. A nouveau, je manque d'air. Je suffoque. Je me penche sur le bureau immaculé. Puis, mes souvenirs s’effacent. je sombre dans les abysses de mon esprit qui se bat dans un océan de pensées, de folies, de désespoir.

C’est la dose de trop. J’abuse de cette douceur, celle-là même qui fait ma noirceur. J’ai perdu la tête. Je ne suis plus chez moi. Le goût de la bile envahit ma bouche et me tourne le cerveau. J’aime trop l’héroïne pour arrêter. Je me noie dans mes sensations, j’oublie tout. J’oublie que je suis une mère, une mère ignoble. J’oublie la violence dont je suis coupable. Je sais que je ne dois pas agir de la sorte avec mon fils. Il n’a rien demandé. Je ne peux pourtant pas m’en occuper autrement. Je ne connais rien d’autre que la violence. Fille violée par son père, battue par sa mère, comment pourrais-je être différente de celle que je suis ?

Je l’embrasse, la serre contre moi. Je sens le désir monter en moi. Elle se retire de l’étreinte, je suis allé trop loin. Cette gamine a déjà vécu tant de dérives que je ne peux pas la forcer ni précipiter les choses. Je suis fou. Je suis fou d’elle. Pas seulement de son corps mais bien de son âme de petite fille blessée, de future femme. Elle est belle. Son intelligence est grande. Pourtant, elle agit, parfois encore, comme une enfant naïve. Je l’ai vu grandir, s’épanouir physiquement et se construire au-delà de ses souffrances. Elle mérite l’amour et ce que je lui offre en l’embrassant tendrement. Les sentiments ne se commandent pas.

La colère prend le dessus de la souffrance, je frappe dans tous les sens. Jamais je n’ai agi comme cela, ça ne me ressemble pas. J’ai toujours été calme et patiente. La vie en a décidé autrement. Je vais finir dans ce cachot sans avoir rien connu de la vie, sans avoir fait d’excès et de folies. Je ne suis qu’une ratée. Il m’a bien choisi car personne ne va me pleurer ni remarquer mon absence.

Un cadavre en début de décomposition. D'ailleurs, cette odeur est effroyable. Une fois que vous l'avez sentie, elle s'immisce dans vos souvenirs et n'en part jamais. Comme si elle attendait de surgir à n'importe quel moment.

Elle ne m’aime pas, je le sais. Le garçon, lui, s’amuse à salir ce que je viens de nettoyer. Fréquemment, je me fais gronder car le sol est encore dégoûtant. J’ai beau expliquer que ce n’est pas ma faute, personne ne me croit. Le garçon rit fort, jusqu’à en avoir mal. Je me dis que vivre dans une famille, c’est sûrement ça. Il faut que je les aide à tenir la maison, qu’elle soit propre, mais je ne reçois pas d’amour. Ils ne me frappent pas non plus, ils ne me regardent pas ou peu. Je suis invisible pour eux. Comme je l’ai toujours été. Je n’existe pas. Je suis vraiment une mauvaise petite fille.

Je perds la tête depuis que je couche avec elle. Je suis vraiment en train de perdre la tête, et deviens fou à lier ! Si jamais cela s’apprend, je risque toute ma carrière, mais aussi ma vie. Je porte atteinte à la vie d’une mineure. Inconcevable lorsque l’on est supposé accompagner les ados vers la « normalité ». Je rends sa vie encore plus « anormale » qu’elle ne l’est déjà. Je dois y mettre fin avant que cela ne s’aggrave. Une jeune fille qui s’attache à un adulte, c’est la pire des choses ! Elle va tomber amoureuse et me gâcher la vie. Il faut que cela cesse.

De toute façon, je ne sais plus quel jour nous sommes. Cela doit bien faire des semaines que je suis ici. Des semaines que je tourne comme un lion en cage dans cette chambre miteuse. Je sais uniquement qu’Il est venu en constatant l’absence de liquide dans le pot de chambre. Mes besoins ne se vident pas seuls. Ma nourriture n’arrive pas seule. Si je ne mange pas, elles sont également privées de nourriture. Alors, je mange. Je mange même si j’ai envie de mourir. Je mange car ça me remplit, ça me donne de l’espoir. L’espoir de sortir d’ici en vie.

Plus elle s’approche de moi, plus j’ai envie de la serrer contre moi. Ce n’est pas du tout professionnel. Ce baiser n’est rien d’autre qu’un souvenir. Un vil souvenir. Je me dois de me tenir et de faire attention. C’est une chose d’embrasser une jeune fille, mais embrasser une mineure dont j’ai la charge en est une autre. Pourtant, mon corps bouillonne de l’avoir près de moi. Je n’arrive pas à gérer mes sentiments. Mon âme et ma raison sont bouleversées par ce baiser si doux, interdit. Ma peau réclame la sienne, la chaleur de sa bouche.