Mais ce sempiternel désir d'ailleurs et de nouveau ne peut aboutir qu'à la désillusion : on ne se débarrasse pas si facilement de sa carcasse, mortelle, imparfaite, incomplète. On ne peut qu'apprendre à l'aimer parce que notre incarnation est la condition du don : on donne la vie, on partage le pain, on fabrique un objet.
N'oublions jamais que les mots humanité et humilité ont la même racine : humus, la terre. Le bonheur des générations futures est à ce prix.
Promouvoir la limite, ce n'est pas brimer la créativité individuelle, c'est la rendre consistance en lui donnant un sens et un socle, c'est lui permettre de s'épanouir sans s'évanouir dans des pulsions aussi décevantes qu'éphémères.
Comme l'antispécisme qui brouille les frontières du vivant en confondant l'homme et l'animal, le transhumanisme estompe les distinctions entre le réel et le virtuel, entre l'humain et la machine. Au nom du "Progrès" autoproclamé, faudra-t-il assister impuissant à la modification irréversible de notre condition humaine, au triomphe des androïdes indifférenciés ? Le "fantasme de l'homme auto-construit" (Olivier Rey) mène en réalité moins au "cyborg" qu'au néant, puisqu'à force de nier la finitude humaine, on risque de nier l'humain lui-même.
Notre époque semble travaillée en profondeur par le problème de démesure et de la différence : à partir de quels critères définir le même et l'autre et que faire de cette distinction ? Ainsi se voient bousculées, bien au-delà des frontières géographiques, les grandes frontières ontologiques : entre la vie et le néant, entre l'inaliénable et le négociable, entre l'amas de cellules et la personne, entre l'homme et la femme, entre l'enfant et l'adulte, entre l'humain et l'animal, entre l'humain et la machine.
Il s'agit de penser non pas en terme de croissance, mais en terme de foyer, c'est-à-dire d'équilibre interne. […] Le foyer doit donc maintenir sa cohérence et son unité pour acquérir une certaine indépendance par rapport à l'extérieur. Qu'on le pense à l'échelle de la famille, du village ou de la nation, le foyer est central sans être exclusif, circonscrit sans être fermé. Il vise la taille idéale, convenable, la bonne échelle, en fonction de ses échanges avec l'extérieur.
La chasse aux frontières contemporaine repose sur le refus de définir, comme si définir, c'était forcément réduire et enfermer. En réalité, nous avons besoin de bornes pour vivre : elles nous empêchent de nous croire tout-puissants, de prétendre contenir à nous seuls la totalité de l'expérience humaine.
Le moindre bosquet est un monde. Toute forêt cache une foule. Plus de cent millions de bactéries peuvent vivre dans un gramme de sol; un hectare d'humus compte plus d’organismes vivants que d’êtres humains sur Terre ! Chaque année, d’elle-même, la forèt se régénère., agradant son propre sol : elle n'est pas seulement un indispensable puits de carbone, elle est une source quasi inépuisable de vie, dans des formes extraordinairement variées. La plus ancienne foret du monde, celle de Daintree en Australie, aurait quelque cent trente-cinq millions d'années.
L'écologie intégrale ne choisit ni l'humain contre la nature ni la nature contre l'humain. Elle cherche au contraire à réconcilier l'humanisme et l'environnementalisme, à faire la synthèse entre respect absolu de la dignité humaine et préservation de la biodiversité. Promouvoir l'écologie intégrale, c'est reconnaître qu'on ne saurait défendre l'une sans protéger l'autre, se soucier des plus fragiles sans s'opposer à tout ce que nos modes de vie peuvent avoir de dégradant et de destructeur.
L'individu de tous les possibles n'est l'homme d'aucun réel. Le self-made-man que nous vante l'époque, cet individu sans foi ni loi qui cherche à s'abstraire de sa condition d'être déterminé pour s'inventer lui-même chaque jour, n'a qu'une illusion de liberté. […] En réalité l'individu ne saurait être la mesure de toute chose sans compromettre la possibilité même de la vie sociale : dès lors que tout est individuellement permis, plus rien n'est collectivement possible.