Citations de Georges Henein (91)
Écrire est une façon de veiller.
C'est dans le désert que l'on fixe le mieux des points inconsistants, irrévélés. (p. 136)
La force de l'inertie (fragment)
Les objets usuels ont la douceur circulaire du vide.
p.97
Quelque chose dont on doute est quelque chose qui mérite que l'on en doute. Les vrais sceptiques sont tellement plus éloignés de l'indifférence que les vrais passionnés. (p. 73)
Shahrina
EN TOI
extrait 2
en toi
l’irréfléchi fait parler les voiles
en toi
rebondit le long exil d’un baiser
en toi
je suis enfin
à ma merci
Une amnésie romancée prend la place des occasions perdues.
C’ÉTAIT UNE AUTRE EPOQUE
extrait 3
C’était un jour incrusté d’oubli
comme une chapelle baroque
un jour qui n’avait pas la force de se lever
et de nous regarder pâlir.
L’épreuve du brouillard (1940-1945)
À force d’écrire…
À force d’écrire : « Signes distinctifs : Néant », le bureau-
crate persuade sa victime non seulement qu’il n’est rien qui
la distingue mais, d’abord, qu’elle n’a pas à se distinguer.
Imagine-t-on une carte d’identité sur laquelle on lirait :
Signes distinctifs : Sujet dangereux ; s’imagine que son
enfance continue.
Ou bien :
Signes distinctifs : au lever du jour, dépose des violettes
sur l’oreiller des inconnues.
p.18
Sans le sommeil, le meurtre serait permanent.
Tellement de choses se soldent par un cri qu'il serait plutôt recommandable de ne pas crier. Et s'il faut crier malgré tout, si l'on ne peut pas y couper, du moins que le cri soit court. Non pour ce que la longueur du cri entraîne de malaise chez l'auditeur (le contraire serait sans doute plus près de la vérité) mais dans l'intérêt même du crieur et parce qu'il est établi que plus le cri se prolonge et plus sa signification se perd.
Je voudrais bien écrire davantage, mais je n'en trouve pas
le temps. Écrire des phrases décousues, sans remèdes et sans
objets — comme de l'herbe mal broutée.
p.127
C'était une mendiante hautaine et dure.
(...)
Elle opérait sur le domaine intime de chacun. A son abord, l'impartagé se fondait en une pudique transparence, l'insortable comparaissait avec la dernière bonne grâce (...) Que saura-t-on jamais d'une fille qui, au centre d'une ville,bouleverse, d'une simple contraction de pupille, la hiérarchie intérieure et la consistance morale d'un homme aperçu un instant, et cet instant suffit à frapper d'inanité tout ce qu'il pensait avoir été mis en ordre, mis au propre, et quelquefois à réveiller ce dont il se croyait délivré ?
Certains qui n'étaient pas prévenus, commençaient par le soupeser comme s'il s'agissait d'une vitrine. Elle les rappelait à eux-mêmes d'une sifflante inflexion du regard, et bientôt, il leur fallait songer à chercher un abri.
Rien ne lui était plus facile que de transformer une société d'êtres solides et satisfaits en une exposition de pauvres, et par pauvres elle entendait ceux qui sont incapables de faire l'inventaire de leur propre dénuement.
Mais comment voir aussi loin ? Comment les gens s'arrangent-ils pour voir loin, avec toutes leurs photographies anticipées ? Se voir sur un lit de mort, à la rigueur. Mais ailleurs, ailleurs... ?
des objets que l'on remet en place (comme si l'on connaissait d'instinct la place qui leur est due), un dictionnaire que l'on palpe à cause de ses formes calmantes, un crayon que l'on taille, un cadre que l'on redresse. Voilà ce que nous sommes en réalité, cher Monsieur, voilà ce que nous devenons lorsque la vie s'interpose entre nos gestes et leur destination véritable : des tailleurs de crayons, des redresseurs de cadres ! Il y a peut-être comme cela des milliers de redresseurs de cadres qui s'estiment heureux, ou en tout cas moins malheureux que moi, simplement parce que, dans leur esprit, redresser des cadres n'est pas une profession, mais une sorte de saine distraction, agréable relâchement des nerfs...
Je compte sur vous, cher Monsieur, pour m'épargner les conseils de circonstance. (...) Sans doute êtes vous prêt à me cataloguer, à m'inscrire sous la rubrique : égarements passagers. A me recommander un séjour à la campagne. Pensez-vous sérieusement que je sois capable de vivre dans un chalet rustique à un étage ? Non, cher Monsieur. L'espace m'est compté, à petits pas, par cette femme qui obstrue ma vie. Je vis dans une maison que j'aurai, plus tard, plaisir à hanter. Je suis docile à ses lois. Tant pis pour la concentration d'esprit.
L’EXACTE VÉRITÉ
Pour Ikbal.
Extrait 3
je te parle parce que la nuit
est à la fois
la verrière noire des conjurations
et la parure de cette femme qu’en vain l’on emmène
et cette cabine-fantôme échouée dans la forêt
et quelque chose de plus
que le temps à tromper
et le silence à vendre.
Il faut se gaver d'ombre, émietter et fouler le peu que l'on
connaît, se lever tôt et courir la campagne jusqu'à ne plus
pouvoir distinguer une fille d'un arbre.
p.159
Il y a deux façons de se taire. L'une consiste à chercher
protection dans le silence ; l'autre, à y puiser la force de
parler un jour d'une voix intacte.
p.84
Pourquoi grimper sur cet arbre déserté par les oiseaux ?
p.127
Ma source d'étonnement.
Il serait présomptueux de te porter secours parmi tant de dangers qui se fanent. Ce n'est pas cette connivence que tu attends. D'ailleurs j'ai précisé qu'il est tard. Injustement tard.
C’ÉTAIT UNE AUTRE EPOQUE
extrait 2
Nous froissions des caresses
longtemps retenues aux vitres de la pluie
et la rouille gagnait l’extrémité de nos doigts.
Enfants tardifs et désœuvrés
dont les visages ne servaient à personne
nous laissions l’herbe monter autour de nous
comme un besoin coupable
et nous rêvions de disparaître
enfin voilés par ce caprice aux longs cils
exemptés de toute présence et de tout lieu.
…