Gérard Carré

« Comme l'eau qui tombe des montagnes, vers la mer
Un souffle nouveau balaiera la terre
Sur les murs les rêves des enfants, des enfants
Feront tinter la musique
Du vent

Mon amour, regarde la mer
Nous le prendrons un jour ce bateau
Plein de ces fous qui rêvent de cet autre univers
Que transporte la mémoire
Du vent

Ce drakkar perdu au gré de l'océan
Figure de proue d'un autre temps
Que poussent les génies
Cette graine de vie
D'amour
Sur tes rives
Liberté »

Allongé sur sa couchette, Viking lit le dernier James Ellroy. C'est Vieux JB qui le lui a offert pour ses soixante ans. Il n'y comprend pas grand-chose, trop d'intrigues croisées, de protagonistes, de références imbitables. Mais il adore le style. Cette violence des mots, crachés en rafale comme le staccato d'une kalache. Ce cynisme sanglant de personnages qu'il a l'impression de côtoyer depuis sa prime enfance. Des flics pour la plupart. Juri adore les flics corrompus. Il leur doit sa longévité. Ils sont la preuve définitive que la conscience humaine a un prix. Qu'il suffit d'aligner le bon chiffre pour que la morale change de camp. Retourne sa jupe de cuir comme une vieille pute. Moody Blues ou pas, c'est extra ?

D'autres images déferlent pêle-mêle dans son esprit, nourrissant sa paranoïa... Un manteau teinté de rose dans La Liste de Schindler. Coquetterie géniale de réalisateur qui resta gravée dans la mémoire de Salomé comme l'image ultime de la Shoah. Cette autre fillette, abattue plus de soixante ans plus tard par Merah dans la cour de son école. Le calvaire d’Ilan Halimi, torturé à mort par un gang de barbares. Le sourire posthume de Mireille Knoll...

Salomé ne s'est jamais sentie aussi « juive » qu'en cet instant !

Léonard braque à droite, s’immisce aux forceps dans l’amalgame des véhicules imbriqués, explose la barrière bicolore menant aux voies sur berge interdites à la circulation.
Il engage l’ Audi sur la voie désormais réservée aux piétons, rollers et autres cyclistes. Ça gesticule vénère au passage de l’ovni tonitruant qui viole sans vergogne l'espace de jeu citoyen mis à leur disposition par la Mairie de Paris.

Rejoignant Saint Germain, elle s'arrêtait au Flore, l'espace d'un café, en hommage au Castor Beauvoir, qui l'avait initiée aux mystères de son sexe.
Enfin, ivre de liberté et de poésie, elle quittait le ghetto Germanopratain, nombril autoproclamé de l'Univers et bouclait sa baguenaude en remontant la rue Monge.

Cette défiance, Leila l'avait déjà ressentie toute petite, dans ce territoire perdu de la République qui l'avait vue grandir au coeur des années quatre-vingt-dix. De la part d'une population "de souche" lui faisant bien sentir qu'elle ne serait jamais qu'une pièce rapporttée dans cette France où elle était née.
Mais également de la part de tous les Momo, Fathia, Béchir, Aminata et autres Nafissatou avec lesquels elle avait partagé l'insousciance et les barres de kinder sur les toboggans de son enfance, qui l'écartèrent progressivement de leurs jeux, au prétexte qu'elle ne pratiquait ni le ramadan, ni aucune de ces coutumes folklo-religieuses importées de pays fantasmés dans lesquels ils n'avaient jamais mis les pieds.
Le cul entre deux chaises. C'était sa fêlure, à Leila. Son tatouage indélébile.

Elle grimpait Port Royal. S'invitait au tartare à la table d'Aragon, à la closerie des lilas. Descendait Montparnasse où résonnaient, lointains, les échos tempétueux de la voix de Ferré, du rire de Gréco, déshabillée canaille par le souffle amerlock du grand nègre trompette.
Vian Boris, Magny Colette, Gainsbourg Serge et le Bobby Lapointe. " Le Blanc qui chante Toulouse, le Noir qui swingue I was born to lose ". Rive gauche à Paris.

Le shah Rhominey de Perse avait été trouvé mort dans son palais en or massif ! [...]

Alors, aussitôt, Donald Rayban, président des Etats-Unis d'Amérique, accusa l'Union soviétique d'avoir fait assassiner le shah Rhominey pour le remplacer par un dictateur pro-soviétique et ainsi s'emparer des persanes richesses.

Dans le même temps, Michael Combadchef, président des républiques socialistes soviétiques, accusait les Etats-Unis d'avoir fais assassiner le vieux tyran pour les mêmes raisons, mais à l'envers.

En fait, le shah Rhominey était simplement mort de vieillesse, mais tout le monde s'en foutait car la bagarre était lancée...

Alors, Michael Combadchef traita publiquement Rayban de "Vieille star gominée, produit de lancement pour pâte dentifrice et chewing-gum qui n'a plus de goût." Fin de citation.

De son côté, Donald Rayban traita publiquement Combadchef de "Plus coté à l'argus, pavillon des cancéreux et résidu de goulag." Fin de citation.

Bien sûr, on le comprenait, de telles paroles étaient une véritable déclaration de guerre... et ça risquait bien d'être la dernière !

Ces mecs buvaient les mêmes bières, fumaient les mêmes clopes, riaient des mêmes vannes à la con et gagnaient le même misérable SMIC en poussant les mêmes chariots à longueur de couloirs. Mais ils pouvaient s'entretuer pour des dieux qui ne leur demandaient rien.

Bon, des parachutes qui tombent du ciel, y a pas de quoi grimper aux rideaux... mais le plus fort, c'est qu'il les avait vus r'monter, ces bon Diou d'paracutes ! Alors là, même dans le poste, il avait jamais vu des bizarreries aussi bizarres, Vieux Sébastien ! Et pourtant, il ne la lâchait guère sa télé... même qu'il avait r'vendu sa vieille dans laquelle y avait vraiment trop de réclames et que depuis qu'il avait la neuve et ben... ça allait mieux ! Et c'est pas tout... y a pas dix minutes, ses vieux meubles s'étaient mis à branlicoter de la caisse ! Alors, il avait fait son signe de croix et s'était précipité à la fenêtre... Quel spectacle ! Sous ses yeux à lui, des chars de la guerre queuleulaient verrs le châtieau...

- Cré vingt Diou, jura Vieux Sébastien mais un peu tard, j'mettra plus jamais d'limonade dans mon vin... ça m'chavire !

Lorsque le dernier char se fut enfoncé dans la nuit, Sébastien Rocha cahincaha jusqu'à son lit en se promettant de ne rien dire à personne.

Y seraient bien capables de l'enfermer dans l'asile de vieux... et c'est bien connu : à l'asile on ne boit que de la Vittel !

Or, s'il avait toujours envie de boire, Vieux Sébastien n'avait aucune envie d'être éliminé.