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Critiques de Ghassan Salamé (1)
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Quand l'Amérique refait le monde

En 1996, Ghassan Salamé nous livrait avec "Appels d’empires" un livre lumineux sur le monde de l’après-guerre froide. Neuf ans plus tard après un détour par le gouvernement libanais dont il fut ministre de la culture et par l’Irak où il fut l’adjoint de Sergio Viera de Mello, ce professeur à l’IEP Paris nous revient avec une somme impressionnante consacrée à l’Amérique du 11-septembre. "Quand l’Amérique refait le monde" est tout entier focalisé sur son objet : comprendre les Etats-Unis d’aujourd’hui et leur politique étrangère curieux mélange de nationalisme et d’impérialisme. Pour ce faire, Ghassan Salamé présente jusque dans les moindres détails l’état actuel de la réflexion internationaliste américaine offrant ainsi un panorama intellectuel quasiment unique en langue française – hormis l’excellent "Washington et le monde" de Pierre Hassner et Justin VaÎsse (2003) dans un format plus concis. Trois notions constituent les étapes obligées de ce parcours : la suprématie, l’unipolarité et l’unilatéralisme.



Depuis le 11-septembre, les Etats Unis se caractérisent par une conscience suraiguë de leur suprématie. Quels que soient « l’échiquier » sur lequel on se place, les Etats-Unis n’ont pas de rivaux. Militairement, leur domination est écrasante : le budget militaire américain est aussi élevé que celui des neuf pays suivants réunis. Encore ne représente-t-il qu’une ponction infime sur la richesse nationale, ce qui permet aux Etats-Unis d’afficher une belle vitalité économique qui fait taire les « déclinistes » de la fin des années 80. Quant au soft power, il est inutile de rappeler que les Etats-Unis en maîtrisent toutes les facettes – Ghassan Salamé parle avec Josef Joffé de « syndrome HHMM (Harvard-Hollywood-McDonald’s-Microsoft) ».



De la suprématie à l’unipolarité, le pas pourrait sembler aisé à franchir. La suprématie est en effet une condition de l’unipolarité. Sans rival crédible, les Etats-Unis sont incontestablement au centre du système international : il s’agit bien d’un nouvel « Empire du milieu » comme l’écrivaient en 2001 Pierre Mélandri et Justin Vaïsse. Pour autant ce système est-il uniquement polarisé par les seuls Etats-Unis ? Nombreux sont ceux qui l’affirment outre-Atlantique depuis Charles Krauthammer jusqu’à William Wohlforth en passant par Coral Bell ou Andrew Bacevich . Pourtant rien n’est moins sûr. Ainsi Bertrand Badie a-t-il soutenu le contraire dans son dernier livre en montrant qu’ici ou là la recherche d’autonomie, des politiques de contestation ou de véritables stratégies de nuisance viennent perturber le « moment unipolaire ». Certes l’asymétrie de puissance ne permet à personne d’espérer supplanter les Etats-Unis. Mais à défaut de gagner, les « faibles » peuvent tenter de faire perdre ou de faire mal, limitant dans cette mesure l’hégémonie de la superpuissance américaine.



Quel que soit le diagnostic porté sur l’uni- ou la multi- voire selon l’expression de Samuel Huntington l’uni-multipolarité, le défi actuel réside dans l’unilatéralisme américain. Ghassan Salamé en explore les ressorts et en dénonce les périls. Il montre que la politique étrangère des Etats-Unis menée sous George W. Bush se caractérise par :

- une révision permanente des menaces en privilégiant celles que l’on ne sait même pas ne pas connaître (les unknown unknwon),

- un abandon de la dissuasion au profit de la guerre préemptive voire préventive,

- une remise en cause du concept de souveraineté,

- un mépris affiché de la norme juridique internationale

- la préférence aux coalitions ad hoc sur les alliances pérennes,

- in fine une aversion pour le statu quo pour le moins paradoxale de la part de la seule superpuissance.



Ce cocktail unilatéraliste expose les Etats-Unis à bien des déconvenues. Les apories de la guerre contre la terreur sont en train de le montrer. A trop vouloir se recréer un ennemi pour redonner sens à leur hégémonie, les Etats-Unis se sont lancés dans une entreprise au terme inconnu et à l’issue incertaine. La difficulté s’est creusée avec l’aventure irakienne où les Américains ont certes vite fait de gagner la guerre mais ne sont pas prêts de gagner la paix. Alors que les néo-conservateurs caressaient l’idée de faire de l’Irak un modèle démocratique pour ses voisins, le Pentagone par réticence à s’impliquer dans le state building a négligé l’après-guerre. Conséquence : « la Mésopotamie loin d’être le modèle promis de la « démocratie par césarienne » est devenue un exemple de chaos et de désolation » (p. 479).



Dans ces conditions, la pérennité du projet hégémonique américain peut susciter des doutes. Comment une telle puissance sera-t-elle acceptée si elle provoque autant de ressentiment ? En a-t-elle les moyens économiques et n’est-elle pas menacée par l’imperial overstretching pronostiqué par Paul Kennedy ? En aura-t-elle encore la volonté si la construction impériale a des incidences intérieures, tels une restriction des libertés civiques, un changement des modes de consommation énergétiques ou un retour à la conscription ? En a-t-elle la capacité diplomatique, les défis du siècle ne pouvant tous être réglés par l’exercice solitaire de la puissance et « le solo [devant] laisser la place au chœur » (p. 518) ? En a-t-elle seulement le projet, les Etats-Unis donnant la fâcheuse impression de ne proposer aucun projet au soutien de leurs ambitions, « l’invocation de la liberté [demeurant] trop vague pour être traduite en choix clairs » (p. 541) ? En définitive, conclut Ghassan Salamé, les Etats-Unis ne sont peut-être qu’un « empire d’adolescents » avec lequel le monde est condamné à vivre.
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