AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de LeandroDavalos


Giacomo Casanova
''Le 2 avril 1734, jour où j’accomplissais ma neuvième année, on me conduisit à Padoue dans un burchiello par le canal de la Brenta. Nous nous embarquâmes à dix heures du soir, immédiatement après souper. Le burchiello peut être regardé comme une petite maison flottante. Il y a une salle avec un cabinet à chacun de ses bouts, et gîte pour les domestiques à la proue et à la poupe : c’est un carré long à impériale, bordé de fenêtres vitrées avec des volets. On fait le voyage en huit heures. L’abbé Grimani, M. Baffo et ma mère, m’ accompagnaient : je couchai dans la salle avec ma mère, et les deux amis passèrent la nuit dans l’un des cabinets. Ma mère, s’étant lévée au point du jour, ouvrit une fenêtre qui était vis-à-vis du lit, et les rayons du soleil levant venant me frapper au visage me firent ouvrir les yeux. Le lit était trop bas pour que je pusse voir la terre ; je ne voyais par la même fenêtre que le sommet des arbres dont la rivière est bordée.
La barque voguait, mais d’un mouvement si égal que je ne pouvais le deviner, de sorte que les arbres qui se dérobaient successivement à ma vue avec rapidité me causèrent une extrême surprise. « Ah ! ma chère mère, m’écriai-je, qu’est-ce que cela ? les arbres marchent. » Dans ce moment même les deux seigneurs entrèrent, et, me voyant stupéfait, me demandèrent de quoi j’étais occupé. « D’où vient, leur répondis-je, que les arbres marchent ? » Ils rirent ; mais ma mère, après avoir poussé un soupir, me dit d’un ton pitoyable : « C’est la barque qui marche, et non pas les arbres. Habille-toi. » Je conçus à l’instant la raison du phénomène, allant en avant avec ma raison naissante, et nullement préoccupée. « Il se peut donc, lui dis-je, que le soleil ne marche pas non plus et que ce soit nous au contraire qui roulions d’occident en orient. » Ma bonne mère, à ces mots, crie à la bêtise. Monsieur Grimani déplore mon imbécillité, et je reste consterné, affligé et prêt à pleurer. M. Baffo vint me rendre l'âme. Il se jeta sur moi, m’embrassa tendrement, et me dit : « Tu as raison, mon enfant ; le soleil ne bouge pas, prends courage, raisonne toujours en conséquence, et laisse rire. » Ma mère, surprise, lui demanda s’il était fou de me donner des leçons pareilles ; mais le philosophe, sans même lui répondre, continua à m’ébaucher une théorie faite pour ma raison pure et simple. Ce fut le premier vrai plaisir que j’aie goûté dans ma vie. Sans M. Baffo ce moment eût été suffisant pour avilir mon entendement : la lâcheté de la crédulité s’y serait introduite.''

Jacques Casanova, Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même, éd. Garnier Frères, 1880, t. I, chap. I, p. 29-30.
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}