J'arrivai à Ancône le 25 février de l'an 1744 et j'allais loger dans la meilleure auberge. Content de ma chambre, je dis à l'hôte que je voulais faire gras ; mais il me répondit qu'en carême les chrétiens faisaient maigre.
"Le Saint-Père m'a donné la permission de faire gras.
- Montrez-la-moi.
- Il me l'a donné de vive voix.
- Monsieur l'abbé, je ne suis pas obligé de vous croire.
- Vous êtes un sot.
- Je suis maître chez moi, et vous prie d'aller vous loger ailleurs."
Une réponse pareille et une intimidation à laquelle je ne m'attendais pas du tout me mirent en colère. Je jure. Je peste, je crie, quand tout à coup un grave personnage entre dans ma chambre en me disant : "Monsieur, vous avez tort de vouloir manger gras, tandis qu'à Ancône le maigre est bien meilleur ; vous avez tort de vouloir obliger l'hôte à vous croire sur parole, et, si vous avez la permission du pape, vous avez tort de l'avoir demandée à votre âge ; vous avez tort de n'avoir point demandé la permission par écrit ; vous avez tort de traiter l'hôte de sot, puisque c'est un compliment que personne n'est obligé d'agréer chez soi, et finalement vous avez tort de faire tant de bruit."