Rien ne permet de penser que Longuet pratiqua l'Union sacrée dans les premiers temps de la guerre [1914] autrement que ses camarades, une Union sacrée qui devait être comprise comme une trêve dans les luttes politiques et sociales afin de se consacrer à la défense du payse, sans pour autant que les uns ou les autres renoncent à leurs idées. Un bon exemple en est fourni, en ce qui le concerne, par ce qu'il écrit au moment de la mort de Péguy. Tandis que Barrès exaltait dans l’Écho de Paris la vérité de la pensée de Péguy, Longuet soulignait seulement qu'il (saluait) « la mémoire de cet écrivain de race, de ce « militant qui fut le camarade de beaucoup d'entre nous », mais il se contentait de lui pardonner « ses erreurs de pensée pour son rare talent et son incontestable bravoure ». Il ne l'en absolvait pas pour autant, il ne les reconnaissait pas pour vérités.
L'adhésion à l'Union sacrée ne signifiait donc en aucune façon d'adopter les positions nationalistes.
Page 49 Jean Longuet et l'Union sacrée, par Jean-Jacques Becker
Il serait vain de chercher dans un passé mythifié une belle unité qui n'a évidemment jamais existé. L'union des gauches fut et reste toujours en devenir, à construire.
p.145
Lors des débats à la fois politiques et savants qui ont marqué il y a quelques années le bicentenaire de la révolution française, les adversaires de cette célébration, adversaires donc de notre Révolution et de la "tradition républicaine" qui en est issue, ont souvent opposé notre extrémisme français, souvent sanguinaire, au caractère modéré de la République américaine dans laquelle le régime est une référence pour tous et où la Constitution n'évolue que pas à pas et dans les formes prévues par elle. Le contraste est avéré. Mais d'où vient-il ? L'école de François Furet, expert en histoire intellectuelle, tendait à l'expliquer surtout par des idéologies : l'Amérique aurait le mérite d'être "libérale" (ce qui est "bien") et la France républicaine, le tort d'être "jacobine" (ce qui est "mal"). Osons penser que la différence nous paraît tenir plutôt, ou surtout, aux circonstances historiques. La République américaine a vécu à peu près tranquille parce qu'elle a, dès sa naissance, renvoyé en Angleterre, avec les armées vaincues de Georges III, la seule force contre-révolutionnaire consistante. La République française, elle, a grandi dans un siècle d'affrontement avec, en face d'elle, voire mêlée à elle, la France contre-révolutionnaire.