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Critiques de Goliarda Sapienza (340)
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L'art de la joie

Il y a tant de choses qui ont déjà été écrites sur ce livre que je ne peux que vous donner mon avis : c’est un chef-d’œuvre. J’ai été complètement sous le charme de ce texte de la première page à la dernière, transporté par l’écriture claire, intelligente et poétique de Goliarda Sapienza.

Modesta, née le 1er janvier 1900 en Italie, raconte sa vie, de petite fille pauvre jusqu’à la femme, libre, ni soumise, ni dominante, indépendante, Princesse, qu’elle deviendra. Elle réussit le tour de force de fédérer tout son entourage, hommes comme femmes, en provoquant leur adhésion spontanée, naturelle, à ses idées et à sa vision de la vie. Elle est la narratrice de ce roman. Son livre est une ode au féminisme, sans l'hystérie imbécile que l'on connait aujourd'hui. Gloire est rendue aux femmes de convictions.

L’auteure a mis 10 ans pour l’écrire, de 1967 à 1976. Elle s’est complètement sacrifiée à son œuvre, allant jusqu’à vendre ses meubles pour subsister, voler des bijoux et aller en prison. Tout ça pour qu’au final il n’y ait pas une seule maison d’édition qui accepte de la publier. Même l’intervention du président de la république, ami de la mère de Goliarda, n’y changera rien. Goliarda Sapienza décède en 1996 sans avoir vu son livre exposé dans la vitrine d’une librairie. Ce n’est qu’en 2005 que le roman connaitra le succès, d’abord édité en Allemagne, puis en France où il deviendra le best-seller que l’on connait.

Une œuvre à découvrir, lire ou relire absolument.

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L'art de la joie

J’ai rencontré Modesta et l’art de la joie grâce à Arte et son émission consacrée aux romans « sulfureux « comme les bienveillantes de Littell, Lolita de Nabokov ou Madame Bovary.

« L’art de la joie « de Goliarda Sapienza est un roman qui ne trouva pas de maison d’édition en Italie et qui parut en France. Son auteure ne verra pas de son vivant son livre dans les librairies.

Modesta est née avec le vingtième siècle dans la région de Catane en Sicile. Elle vit dans la pauvreté la plus complète Entre une mère taiseuse une petite sœur handicapée et un père absent.

Modesta est une petite fille curieuse, bavarde et pas timide ce qui va la mettre dans des situations difficiles. Elle a un rêve, un rêve d’enfant voir la mer.

L’art de la joie c’est avant tout une émancipation dans une Italie patriarcale où les hommes font la loi et la religion acquiesce. Face à son destin Modesta va suivre un chemin dans une Italie bousculée par l’histoire, première guerre mondiale, montée du fascisme, seconde guerre mondiale.

L’art de la joie c’est aussi une histoire d’amour. Modesta n’a que faire de la bienséance, elle aime aussi bien les femmes que les hommes. Béatrice, Joyce, Nina, Carmine, carlo…. Elle vit ses histoires d’amour avec son cœur, avec son corps. Et pour finir l’art de la joie c’est l’histoire d’une famille, un microcosme avec une Modesta entourée d’enfants, les siens, des neveux des nièces. Une maison pleine de rires, de musiques et d’amour .

« comment pouvais -savoir que le bonheur le plus grand était caché dans les années apparemment les plus sombres de mon existence ? S’abandonner à la vie sans peur, toujours… »

Comment ce livre magnifique a t’il pu être considéré comme sulfureux ? Finit d’écrire en 1976 dans une Italie en proie au terrorisme des brigades rouges, où la religion n’a pas desserré son influence dans la société et un roman écrit par une femme.

J’ai aimé Modesta, son courage dans ses choix et ses combats, son amour de la vie. Un beau personnage de roman.

Je vous recommande l’art de la joie même si par moment il y a quelques longueurs.
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Rendez-vous à Positano

Rendez-vous avec Goliarda,



Sapienza est aujourd’hui une écrivaine reconnue mais l’actrice et activiste anarchiste italienne fut totalement ignorée de son vivant, ce qui est de l’ordre du mystère pour moi…



“Ce n’est pas cette façon de se rouler, matière et âme, dans une mer huileuse de lascivité… même les montagnes, c’est incroyable, ont l’air de corps voluptueux en attente d’étreintes furieuses, seins tendus, cuisses grandes ouvertes, dos étendus sur le sable en attente de caresses.”



“Avoir des enfants vous rend froid envers les autres”. Sans doute commencerez-vous par entrer prudemment dans les eaux de Positano, vous mouillant un peu la nuque, parce qu’on vous a appris à vous méfier des chocs thermiques (et littéraires), marcherez sur la pointe des pieds, par peur des histoires vaseuses et pour éviter que l’écume des vagues opaques d’un style inconnu, préjugées peu hospitalières, ne rencontrent votre timoré nombril ; la structure du livre, de petits chapitres ramassés et tous essentiels, vous aidera dans cette immersion progressive… Mais lorsque vous vous rendrez à cette évidence que le charme opère, ce sera trop tard, vous n’aurez déjà plus pied…



Car, dans Rendez-vous à Positano, paru en 1984, il y a tout ce qu’on peut aimer dans la littérature : la vie matérielle et psychologique poétiquement, ironiquement, sensuellement traduites dans tout ce qu’elles peuvent avoir de machinal, d’inconscient et que la littérature révèle, brocarde et sublime. Cela dans un style d’une fluidité totale, sans aucune barrière, en dépit des fulgurances stylistiques et réflexives. Comme souvent avec un bon livre, ce n’est pas tant ce qui est narré qui rend l’expérience de lecture singulière et prenante mais l’art et la manière de réinventer la narration. C’est un livre qu’il faudrait pouvoir savourer, mais si l’on n’y prend garde, on finit par le dévorer… Tout n’est pas gai dans cette histoire, loin s’en faut, mais tout est livré d’une façon à la fois légère et dense, c’est peut-être là ce fameux “art de la joie” que l’écrivaine italienne portera en gestation de nombreuses années et qui sera le ciment de sa gloire posthume.



“Personne ne peut garder le silence sur soi-même toute sa vie, sous peine de folie.” C’est un roman qui nous parle parce que c’est un roman qui parle. Les dialogues dominent quantitativement l’ouvrage, et le mélange entre les pensées, les mots et les descriptions est coloré, rythmé et imagé, le moins que l’on puisse attendre de celle qui triompha au théâtre dans sa jeunesse et travailla des années pour les cinéastes, notamment Visconti.



Intimité, promiscuité ; la narratrice est une sorte de conducteur entre le lecteur et la confession d’Erica. Cette bourgeoise magnifique au destin romanesque qui envoute complètement la narratrice, entre amitié indéfectible et candide flirt saphique. Mais c’est par le retrait, l’effacement apparent de “Luzza” que finalement le lecteur apprend à connaître véritablement Sapienza, telle qu’elle se donne à lire. Notamment ses pensées souterraines, derrière les discussions avec son amie et l’exigence permanente de l’écrivaine, de nous faire sentir l’état intérieur dans lequel la narratrice s’exprime, observe, réplique ou garde le silence.



“Les maisons les plus belles, comme les personnes, peuvent devenir odieuses si on ne s’en éloigne pas de temps en temps”. Les lieux et les liens contribuent à tisser une atmosphère familière et nourricière pour le lecteur : le village pittoresque, la maison d’Erica, la barque, les rituels de l’été, les chassés-croisés amoureux et même les réflexions sur la littérature (des références au Dieu gardien des flâneurs Oblomov : allez quatre étoiles rien que pour ça…) et à ce que la littérature peut consigner de la vie, comment elle peut prolonger l’existence et la mémoire.



"Le soleil apaise un peu la douleur, au moins ce qu'il faut pour la rendre supportable." On peut sans mièvrerie qualifier “Appuntamento a Positano” d’étincelant, l’étincelle dans les yeux de Goliarda lorsqu’elle admire Erica pareille à celle que les reflets du soleil donnent aux perles d’écumes sur les eaux lancinantes de la cote amalfitaine.



Bel été,

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L'art de la joie

« Les couleurs viennent du cœur, les pensées du souvenir, les mots de la passion. »



Un livre assez impressionnant. Il ébouriffe dès les premières pages. La narratrice, Modesta, raconte une grande partie de sa vie, ses drames, ses rencontres, ses ''enfants'', ses coups de cœur, qu'ils soient sentimentaux, littéraires, idéologiques. On sent la présence, au travers de cette histoire qui s'étale sur plusieurs décennies, de la pensée de l'auteur, Goliarda Sapienza, son histoire personnelle, ses combats, ses rêves et espoirs durant toutes ces années difficiles qu'a connues l'Italie.



Elle y parle un peu de sa mère, Maria Giudice :

« - Vous ne connaissez pas Angelica Balabanoff ? Je croyais que vous la connaissiez, c'est une grande amie de Maria Giudice.

Non, je en l'ai pas connue. Elle est belle comme Maria ? »



Elle y parle de l'amour :

« ...parce que les sens suivent l'intelligence et inversement, il me semble qu'on tombe amoureux parce qu'avec le temps on se lasse de soi-même et on veut entrer en un autre. (...) entrer en un « autre » inconnu pour le connaître, le faire sien, comme un livre, un paysage. Et puis, quand on l'a absorbé, qu'on s'est nourri de lui jusqu'à ce qu'il soit devenu une part de nous-même, on recommence à s'ennuyer. Tu lirais toujours le même livre, toi ? »



Elle y parle de la mort :

« Il est temps de se remuer, de lutter de tous ses muscles et de toutes ses pensées dans cette partie d'échecs avec la Certa qui attend. Et chaque année volée, gagnée, chaque heure arrachée à l'échiquier du temps, devient éternelle dans cette partie finale. Réfléchis, Modesta, peut-être que vieillir de façon différente n'est qu'un acte révolutionnaire de plus... »



Elle y parle de la Sicile, du langage, de son évolution :

« - Et comment devrais-je les appeler ? De ces noms méprisants que leur donnent les étrangers ?

- Velluta... Cela faisait si longtemps que je ne l'avais pas entendu ! Notre langage se perd, Mattia, et il laissera beaucoup de regrets dans cette île. Tuzzu disait : ''Les couleurs viennent du cœur, les pensées du souvenir, les mots de la passion.'' »



Elle y parle du temps :

« Mais l'avenir n'existe pas, ou du moins l'inquiétude pour l'avenir n'existe pas pour moi. Je sais que seulement jour après jour, heure après heure il deviendra présent. Et dans ce présent que nous avons eu – et avons – tu m'as donné bonheur, conceptions nouvelles, tu m'as fait grandir mentalement et puis... »



Elle n'hésite pas à nous interpeller, nous lecteurs :

« Nina est curieuse comme vous l'êtes, vous qui lisez. Excusez-moi, le fait est que vous lisez chez vous, et peut-être êtes-vous dans un temps de paix, tandis que je vis dans un temps de guerre. »



Alors, je lui laisse la parole : « Raconte, Modesta, raconte. »



J'ai apprécié cette lecture. L'art de la joie est un roman qui parle de liberté avant tout : « Une grande liberté d'esprit et de mouvement ! Comment as-tu fais pour conquérir tant de liberté ? » Et il m'est apparu que c'est un travail long et difficile pour le faire dans le respect des autres. Modesta, bien évidemment en voyant cette photo de couverture, Modesta ne pouvait qu'avoir les traits de Goliarda Sapienza, magnifique ! Toutefois, Modesta n'est pas un personnage qui m'a enflammé (un peu trop parfaite pour moi -même quand elle reconnaît ses petitesses-) mais le livre tient sur la longueur -notamment la petite voix de Tuzzu, qui revient chanter des vérités toutes simples et si belles à l'oreille de Modesta toute sa vie alors qu'elle ne l'aura croisé que quelques temps dans sa toute jeunesse- et j'admire ce travail. Il y a de très belles phrases.



A un moment j'ai pensé au roman Les hauts de Hurle-Vent. D'une part parce que j'ai eu la même difficulté à retenir l'enchevêtrement familial avec des prénoms récurrents et des personnages vivants tous dans cette grande maison. Et puis, quelque chose m'a conduit à ce petit parallèle, vers la fin du roman, sans doute le personnage de Catherine me revenait en mémoire alors que je lisais chez Sapienza «Il faut mettre de la distance avec ceux qu'on aime, la distance clarifie presque plus que la mort.» Mais je ne saurais l'expliqué plus. Une association d'idées. Deux romans, deux femmes écrivains...



C'est également un roman d'apprentissage. Si je dois en retenir un seul, je choisis celui du jardinier, Mimmo : « tu m'as appris à rire et personne ne me retirera ton enseignement.»

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L'art de la joie

Je voudrais vous parler d'une femme dont j'ai rêvé qu'elle devienne à la fois ma mère, ma soeur, ma maîtresse, ma confidente... Je vous rassure, je ne suis pas allongé sur le divan d'un psy au moment où je vous écris ces mots. Cette femme existe, puisque j'ai frôlé son âme le temps de quelques pages de lecture, 640 pages précisément... Je veux simplement vous parler de Modesta.

Modesta est la narratrice du roman. Alors, forcément nous pensons que l'auteure, Goliarda Sapienza, a aussi parlé de son histoire personnelle, de ses combats, de ses espoirs, de ses joies et de ses blessures.

L'Art de la Joie est le roman qui la met dans la lumière et nous en sommes éblouis, tout comme celles et ceux qui croisent son chemin. Ce sont aussi de beaux personnages. Parfois, la lumière attire les papillons. Il faut beaucoup d'équilibre au papillon lorsqu'il s'approche de la flamme d'une bougie, ressentir l'éblouissement jusqu'à cette limite ultime qu'il sait ne pas franchir pour ne pas se brûler les ailes. Et donc mourir... Tenir la bonne distance en quelque sorte. Les personnages de l'Art de la Joie ont parfois brulé leurs ailes au plus près de Modesta.

Il m'est difficile de décrire et résumer ce livre. Il m'est presque aussi difficile de décrire le personnage de Modesta.

Simone Beauvoir nous dit : « on ne naît pas femme, on le devient ». Il me semble que Modesta a brûlé toutes les étapes et pourtant l'Art de la Joie est un roman d'apprentissage.

Modesta est née le 1er janvier 1900, c'est une belle manière d'entrer dans le siècle. Modesta traverse le XXème siècle de l'Italie comme une comète, comme un feu follet. Quand je dis l'Italie, c'est plutôt la Sicile, ce détail est très important. Modesta est à la fois ancrée dans le déroulement d'une histoire, la petite et la Grande Histoire et cela n'a de sens de le vivre et l'écrire que dans cette terre sicilienne et natale. C'est un roman d'émancipation.

Car c'est bien de la lumière qu'il s'agit, la lumière des livres, des textes, ceux dont nous parlons à longueur de jours et de nuits, ce qui fait tenir debout Modesta, elle qui se révolte, s'offre aux autres, hommes ou femmes, se refuse aussi... Modesta, femme libre, vit plusieurs vies. Au fond, elle devient femme plusieurs fois au cours de son existence multiple.

Le livre débute comme un coup de poing au ventre. C'est comme un acte fondateur, mais brutal, qui fait mal. Modesta porte les stigmates à la fois de son enfance et des histoires qu'elle côtoie et traverse sur son passage. Et puis aussitôt elle se relève, chancelante sans doute, regardant déjà vers le ciel, pour nous prendre la main et nous emporter dans le tourbillon de sa vie. Et c'est là que s'exprime la force de la joie, l'art pour être plus précis, la joie qui permet de se relever, qui console, qui guérit... Car c'est un art, lorsque, contre vents et marées, il est permis d'inventer sa vie pour en faire une île, un archipel, une barque, une herbe folle dans un jardin anglais, une constellation...

C'est une joie simple, presque primitive, qui tisse l'itinéraire de Modesta vers son destin. C'est une joie d'amour. C'est une joie qui s'éveille dans une blessure presque irréparable. Que dis-je ? Totalement inguérissable. le XXème siècle est un siècle de lumières et de tragédies. Modesta va traverser ce siècle, le poing levé vers le ciel, comme un drapeau qu'elle porte pour toutes les autres femmes qu'elle incarne. L'Art de la Joie est une fresque historique.

L'Art de la Joie nous décrit avec passion la pauvreté, la guerre, la résistance, les luttes politiques, l'émancipation féminine... Modesta est de tous les combats.

Il y a dans ce roman la vie, l'amour et la mort. le temps qui passe, la liberté, être femme, la sexualité féminine, la sensualité, l'intelligence, la lumière quoi ! Mais aussi les sentiments et leur tourmente plus que jamais...

Modesta est aimante, généreuse, anticléricale, cruelle aussi. Bourrée de paradoxes. Joyeuse enfin et libre plus que jamais.

C'est un livre qui perçoit aussi la lumière des autres. Elle est aussi fragile et brûlante que celle de Modesta. Et lorsque des personnages deviennent solaires, forcément il y a une part d'ombre qui se déroule à leurs pieds.

Le thème qui porte le livre est donc sans doute la liberté. Car Modesta se bat sans arrêt, prend des coups aussi, tâtonne, parfois trébuche, se trompe aussi, ne perd jamais sa joie. C'est un magnifique portrait de femme.

Ce n'est pas ce qu'on appelle un roman facile, c'est un roman dense, il n'est pas facile d'y entrer, il n'est pas non plus toujours facile de tenir la distance. C'est un roman de la patience. Le lecteur est aussi en apprentissage. Mais au fil des pages, nous entrons peu à peu dans le livre, dans la Sicile solaire et sombre, dans les pas sublimes de Modesta. Et une fois le livre refermé, l'histoire de celle-ci cogne encore en nous longtemps après.

Ce livre est profondément féminin. C'est pourquoi il doit être lu absolument par des hommes aussi...
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L'art de la joie

Il est des livres que l'on quitte à regret et d'autres plus sereinement. Le roman de Goliarda Sapienza fait pour moi partie de cette seconde catégorie. Il porte merveilleusement bien son titre puisque la joie, comme d'autres activités artistiques telles la peinture ou la musique, nécessité du temps pour s'accomplir pleinement.



A travers le récit de la vie de la Sicilienne Modesta, née le 1er janvier 1900, l'auteure sème des phrases dignes d'aphorismes pleins de la sagesse présente dans son nom de famille, et qui valent tous les manuels de développement personnel et autre "littérature qui fait du bien".



Modesta est une femme libre et qui entend le rester à tout prix. Esprit curieux et avide de connaissances depuis l'enfance, elle développe sa grande intelligence et sa réflexion, absorbe savoirs et pensées tour à tour politiques, psychanalytiques, etc. Sans jamais tomber dans le piège de l'idéologie fanatique. J'ai admiré sa puissance d'analyse et le recul qu'elle sait prendre vis-à-vis des événements comme des livres et discours.



Le récit se révèle assez déconcertant au départ, tant dans son cheminement que dans sa forme narrative. En effet, si le roman est globalement écrit à la première personne du singulier, Modesta passe inopinément, parfois dans le même paragraphe, voire la même phrase, à une troisième personne qui produit une certaine distanciation vis-à-vis d'elle-même. Ce qui tend à rejoindre sa volonté de ne pas se laisser enfermer dans quelque schéma que ce soit, y compris sa propre personne. On s'y fait somme toute assez vite et il n'est plus qu'à suivre le parcours hors du commun de cette Princesse née dans une cabane sombre d'une seule pièce dans l'arriere-pays sicilien.



Présenté à la publication à partir de 1976, date d'achèvement de sa rédaction, L'art de la joie connut rebuffades auprès des éditeurs italiens par trop frileux face à la liberté de pensée et d'action de cette incroyable Modesta qui porte si mal son prénom.

Merci à Mme Sapienza d'avoir créé ce formidable portrait et merci à son dernier compagnon de vie qui persévéra jusqu'à sa parution. C'est 800 pages qui méritent d'être lues et goûtées comme un précieux nectar.
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L'université de Rebibbia

Goliarda Sapienza (1924-1996) raconte dans ce livre vivant et marquant son expérience carcérale à Rebbibia, la prison romaine pour femmes, en 1980, durant les « années de plomb ». Elle y est incarcérée plusieurs mois pour un vol de bijoux dont le mobile demeure encore aujourd'hui une énigme. C'est le seul de ses ouvrages qui fut salué à sa parution en 1983. C'est à la fois un témoignage sur cette prison prétendument modèle et une réflexion sur la société italienne.

D'abord Goliarda descend littéralement dans un sombre sous-terrain, elle se retrouve dans une cellule à l'isolement, seule face à elle-même. Il faut tenir. Bouger et ne pas s'apitoyer sur soi. le silence est traversé de « cris inhumains faisant vibrer l'obscurité ». Elle nous raconte la routine mais aussi ses angoisses, ses nausées, sa lutte intérieure. La jeune Giovanella qui est enceinte la guide durant la promenade où les autres l'épient. Il faut savoir comment se comporter, un geste, un regard peut vous perdre. Goliarda a un prénom inhabituel, une tenue plutôt chic, de bonnes manières et parle un italien soutenu. Elle fait très attention à en dire le minimum. Elle apprend la patience. L'immobilité. Après l'aveu devant le juge d'instruction que l'écrivaine expédie en deux lignes, Goliarda quitte l'isolement et monte jusqu'à un espace bruyant et spectaculaire : les camerotti. Ce sont des cellules ouvertes sur un espace collectif à deux niveaux où les détenues vont et viennent comme dans une ruche. Goliarda se retrouve dans une cellule coincée entre l'énorme Annunciazione au rire trasvérien (elle m'a fait penser à une grosse mama fellinienne) et la frêle Marrô toxicomane récidiviste qui semble lire dans ses pensées. Goliarda apprend et s'adapte vite. Elle se promène dans les coursives et rencontre des femmes singulières aux parcours divers : prostituées, marginales, trafiquantes liées au grand banditisme, détenues "politiques". Cette fois-ci, c'est Marcella, une prisonnière politique qui la guide. Golardia se rapproche plus particulièrement d'un groupe de femmes cultivées…

J'ai beaucoup aimé ce livre, à hauteur de femme, sans complaisance toc. Goliarda ne fait pas croire aux autres détenues qu'elle est l'une des leurs et elle n'en rajoute pas. Elles savent qu'elle est une privilégiée, bourgeoise et érudite, qu'elle a un avocat et qu'elle sait écrire. Mais elles savent aussi qu'elle ne triche pas, qu'elle souffre dans sa chair et qu'elle a peur d'elle même et de l'extérieur, comme les autres.
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Rendez-vous à Positano

le roman s'amorce par une fugace apparition : celle d'une femme, Érica, qui « survolait, distraite, tous ces visages qui immanquablement se tournaient pour la regarder ».



Goliarda Sapienza, l'autrice, se remémore, trente ans après, le souvenir de cette apparition, leur rencontre fortuite et leur profonde amitié, basée sur la confiance et l'indépendance, une amitié extrêmement forte entre ces deux femmes au cours des ans, une amitié qui ne finira que par la mort.



Elle se remémore également le village de Positano, un lieu intemporel, alors préservé des hordes de touristes et du béton, lieu alors fabuleux, « trop beau et empreint de magie » pour le film que le cinéaste Maselli et son scénariste voulaient tourner.



La description que fait Goliarda d'Érica, appelée la Princesse par les habitants de Positano, est sublime, elle est « prise par le charme envoûtant de cette façon de marcher parmi l'azur et l'or de ce bout de mer immense comme un océan mais calme et silencieux comme un lac », « il y a dans son regard couleur de miel des feuilles d'or de gaieté »



C'est un roman, c'est une évocation d'un temps passé, d'une relation extraordinaire entre deux femmes et d'un coin de paradis aujourd'hui disparu.

J'ai aimé cette évocation.

J'ai aimé que cette histoire me soit contée par une des deux principales protagonistes.

J'ai aimé le portrait d'Érica, ce que nous apprenons de sa famille, de son passé, de sa fragilité.

J'ai aimé l'hommage qu'elle lui rend

J'ai aimé ce livre car j'y retrouve l'univers et le style de Goliarda Sapienza que j'avais découvert avec ravissement lors de la sortie en France de l'Art de la Joie, l'un de mes livres pour une île déserte, je l'ai offert ensuite à mes amis italiens qui ne le connaissait pas, mais je ne l'ai toujours pas critiqué sur Babelio. ..



Il serait temps que je répare cette omission, hélas, plus je lis, plus j'ai des livres à lire… Il y trop de tentations : les critiques d'amis babéliotes, les livres qui me sont envoyés par des auteurs, mes tournées dans les librairies et les boîtes à livres…
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Lettre ouverte

Emprunté à ma médiathèque le 28 mars 2022 !!! - 20 mai 2022



Lecture aussi intéressante qu'oppressante, tant l'histoire de cette femme brillantissime est passée par des violences innommables, au creux du cercle familial, même si cette famille était aussi toxique qu'exceptionnellement brillante, intellectuelle, atypique et très nourrissante, culturellement...!!



Cette "Lettre ouverte " écrite en 1965,alors que son auteure est au mitan de son existence,dans un temps de dépression intense et récurrent, et voulant "débroussailler " une histoire familiale complexe,ayant réuni le pire et le meilleur !!! Texte autobiographique qui sera publié deux ans plus tard,en 1967!..



J'éprouve une grande admiration pour la plume et l'exigence de vérité cette femme envers elle-même et son histoire familiale aussi palpitante que "tordue".



C'est pour cette raison que j'ai choisi l'extrait suivant,qui est terrifiant d'explications pour comprendre la personnalité de cette femme de Lettres, qui, à ses 40 ans,après dépressions, tentatives de suicides, des tendances autodestructrices, a éprouvé par cette "Lettre ouverte" de poser ses bagages, et de faire le point, le "grand ménage" dans son histoire familiale aussi palpitante que toxique.!!



Des parents brillantissime dont une mère exceptionnellement engagée politiquement, directrice d'un Journal....cultivée, permissive ( et sans doute trop ??); une famille recomposée complexe ...un père, avocat, très engagé à gauche, assumant ses convictions jusqu'aux emprisonnements successifs ...mais aussi père ambigu et

incestueux ?



Il est étonnant de lire sous la plume d'une écrivaine le reproche d'une mère ayant poussé sa fille , intellectuellement, au maximum...mais lui ayant refusé le minimum affectif !!!



"Mais quand elle est morte,le remords de ne pas avoir suffisamment pris soin d'elle m'a assaillie nuit et jour.Il a fallu dix ans pour que je comprenne le sens de ce remords.J'avais été une bonne mère, mais je m'en voulais d'avoir,par mes soins,prolongé son agonie de deux ou peut-être trois ans.Ma façon de la soigner était une vengeance. Enfin je l'avais en main,cette femme qui l'avait dominée toute la vie: je pouvais la laver,la tenir dans mes bras,la caresser: elle qui auparavant était si avare de tendresses.(...) Je me vengeais en lui faisant voir comment on prend soin d'une fille: en le lui faisant voir à elle,qui ne s'occupant que de mon esprit m'avait pour le reste négligée de toutes les façons. (p.200)"



Un texte précieux pour appréhender au mieux l'oeuvre de cette grande dame des Lettres...toutefois,j'ai eu du mal car les douleurs et traumatismes évacués dans cette Lettre-confession ou Lettre-bilan sont d'une violence psychologique rare! J'achève par cet extrait explicatif de l'éditeur :



"(...) Pour ce qui est de la vie de Goliarda Sapienza,inutile de s'attarder ici sur ses années d'apprentissage et sur le canevas redoutable d'une famille sicilienne mêlant la beauté à la violence, l'engagement à la folie, la culture au non-dit.Il n'est pas plus nécessaire de détailler

l'expérience traumatisante de Sapienza pendant la guerre,celle désenchantée du théâtre, l'échec de son couple avec Cito Maselli,la disparition de la figure écrasante de sa mère, sa dépression ,les conséquences désastreuses d'un internement psychiatrique et de séances d'électrochocs qui la laissèrent dévastée. La connaissance désormais acquise de ces éléments biographiques- alors qu'ils ne sont souvent évoqués que de manière elliptique dans Lettre ouverte-donne de fait une toute autre ampleur au courage de l'auteure pour sortir du carcan que fût sa première vie,celle d'avant l'écrit. Acculée par ses contradictions,ses traumatismes et ses peurs,Sapienza à décidé de faire face et de se confronter au chaos de son passé. ( p.6)"

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Moi, Jean Gabin

Si Natacha, bibliothécaire de mon village n’avait pas présenté ce livre lors du cercle de lecture, je serais certainement passée à côté d’une pépite. L’art de la joie vous dit quelque chose ? C’est le même auteur ou plutôt la même autrice.



Elle raconte quelque jours de sa vie, enfant. Goliarda, garçon manqué, vit avec son ami virtuel Jean Gabin qui incarne le courage et liberté pour cette fillette. Elle passe tout son temps dans la salle de cinéma du quartier la Civita ou elle vit avec sa famille fantasque. Sa mère, militante et adorée, son père avocat des pauvres, sont à la tête d’une tribu nombreuse. L’éducation libre mais non sans principes, donne beaucoup de temps libre à Goliarda. Un de ses frères est chargé de son éducation scolaire.



En sortant de la salle de cinéma, elle bouscule une fillette et sa mère. Elle doit gagner son argent de poche et le remettre à cette femme en dédommagement, conseil de sa propre mère. Goliarda va nous entraîner dans son quartier populaire, quêtant du travail ou des pièces pour honorer sa dette. Quand elle daigne rentrer, souvent, quelques membres de sa famille ont été arrêtés. Entre la mafia et le fascisme, cette famille garde le cap malgré les représailles.



La lecture de ce récit, oh combien, beau et enlevé donne envie de faire partie de cette famille haute en couleurs, libre et chaleureuse. L'ambiguïté de certaines scènes qui se veulent réconfortantes nous donne une autre version de la réalité si nous sommes capables de lire entre deux lignes. Les faits sont effleurés. La biographie en fin de livre nous éclaire un peu plus sur la vie au sein de cette famille.



Goliarda, fillette à l’esprit vif et imaginatif, deviendra une femme tourmentée et angoissée.
Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
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L'art de la joie

J'étais partagée entre la réticence et la curiosité à l'idée de découvrir ce qui est aujourd'hui considéré comme un chef d'œuvre de la littérature italienne. Plusieurs amies m'avaient parlé d'une lecture incroyablement compliquée et c'est volontairement que j'ai écouté ce titre en dernier parmi ceux sélectionnées pour le Prix Audiolib 2019. Aussi, une sorte de mythe l'entourait, sachant que Goliarda Sapienza avait mis dix ans à l'écrire, que sa rédaction, fastidieuse, l'avait mise aux abois et qu'elle est morte avant de l'avoir vu publié partout dans le monde.





L'Art de la joie est le récit de la vie de Modesta, née d'une famille sicilienne pauvre, au même moment que le XXème siècle : le 1er janvier 1900. Nous la suivons, de son enfance à son adolescence, puis dans sa vie d'adulte, de femme, de mère. Nous assistons à la découverte de ses premiers émois amoureux - avec d'autres jeunes filles comme Beatrice, de jeunes hommes ou d'hommes plus âgés comme Carmine -, de la littérature. C'est un portrait de femme libre, forte, obéissant à son instinct, qui se déploie sur des années, tout autant qu'un roman d'apprentissage, la chronique d'une époque en proie aux bouleversements politiques, et enfin, un hymne à la joie et à la création de son destin.



L'Art de la joie est un roman incroyablement dense. Je n'avais jamais écouté un livre audio aussi long et cette lecture a parfois été pénible à suivre, mais je suis heureuse d'en être arrivée à terme. Il faut dire que la narratrice m'a beaucoup aidé à perséverer dans mon écoute !



La narration...



Je salue Valérie Muzzi d'avoir assuré la lecture à haute voix d'un si monumental et parfois si confus ouvrage, sans trop nous perdre entre les différentes narrations, les nombreux personnages - elle réussit à donner à chacun une identité, nous permettant ainsi de nous repérer, ce qui n'est pas évident avec la version écrite, la narration passant de la première à la troisième personne à certains moments. Sa voix sensuelle se prête très bien aux scènes de découverte de la chair et d'amour (et elles sont nombreuses !).



J'avais découvert cette narratrice grâce à sa lecture de Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une et je suis impressionnée d'entendre sa capacité à exceller dans un registre aussi léger que celui du feel good book de Raphaëlle Giordano, que d'un classique de la littérature italienne.


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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L'art de la joie

On développe parfois avec les livres des attentes qui rappellent celles que les vendeurs de shampoing aimeraient nous voir prendre par rapport à leurs flacons : pour telle humeur, tel état d’esprit, telle qualité de kératine ou telle envie de plaire, achetez cet embellisseur, prenez ce roman, appliquez ce baume, lisez ce livre.



Or moi, je sortais de Proust. Et George Eliot avant lui. Du lourd, quoi. D’une semaine dense aussi. J’avais la mèche fatiguée, en manque d’éclat et de lumière comme qui dirait. Alors j’avais envie de facile. D’évasion à bon compte. Pas crétine mais légère.



Comme tout accro qui se connaît, j’avais prévu le coup et entassé au pied de mon lit le réconfort anticipé de quelques milliers de pages parmi lesquelles l’Art de la joie que je me suis donc décidée à entamer en traitement de choc.



Mais, contrairement aux vendeurs de shampoing, les vrais romanciers ne vous markettent pas un produit. Et là où j’attendais plonger dans une saga ambitieuse, le destin d’une femme que les tragédies du 20e siècle ne sauront contrarier, je me suis retrouvée prise dans une puissance bien supérieure à tous les faciles chabadas escomptés.



Modesta nait en 1900 dans une masure sordide des bas-fonds ruraux de Sicile. Misère, folie, abus, violences, rien ne lui sera épargné. Les premières pages la découvrent animal guidant sa vie sur la recherche du plaisir sensuel, mêlent des envolées poétiques et âpres à des éléments biographiques plus factuels dans un mélange des genres assez surprenant. Un passage au couvent, l’arrivée dans une famille riche et folle. La voilà princesse.



Je ne vous raconte pas tout et cette success story n’est d’ailleurs que la trame la plus superficielle de ce roman qui se déploie au-delà des années 50. En fond, ce qui reste, c’est le portrait d’une femme libre qui trace son chemin en faisant fi de toutes les normes, même les plus subtilement aguicheuses. C’est un discours engagé qui met sur un même pied les entraves religieuses, politiques, familiales et même psychanalytiques. La soif de pouvoir, d’argent ou de reconnaissance. Qui montre combien on peut soi-même être sa propre dupe et préférer le chemin de tous les moutons à la quête exigeante de la joie.

Modesta est l’insaisissable objet d’amour qui se donne au plaisir, à la vie quelque visage qu’ils prennent. Et c’est en procédant ainsi qu’elle est juste et qu’elle peut faire rejaillir cet amour dans n’importe quelle circonstance si cruelle soit-elle.



Le roman est envoutant même si la force démonstrative de l’entreprise m’a semblé un peu lourde par moments et que j’avoue avoir regretté qu’il y ait tant d’idées, d’allégories et de profondeur revendiquée. Il y a aussi, je crois, la distance culturelle avec un genre romanesque qui n’est pas celui que je connais bien, à la française ou à l’anglaise. J’ai senti ici des tonalités, des mélanges dont l’intertextualité m’échappait mais qui devaient inscrire ce projet dans une lignée. Les spécialistes de littérature italienne me le confirmeront peut-être. Il n’empêche que l’Art de la joie est un livre unique en son genre, séduisant et entier. Une traversée revigorante.



Et ma mèche, me direz-vous ? Bercée aux eaux siciliennes, réchauffée à la flamme des bougies, comme par surprise, elle a retrouvé son allant !

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Ancestrale

La montagne la mer

Les fleuves

De ton ventre

Les aubes

De ton front

Voilà ce que je voudrais retrouver.



Nouvelle découverte d’une voix féminine italienne, plus exactement sicilienne, Goliarda Sapienza, plus connue pour son roman « l’art de la joie», qui attend sagement (enfin j’espère) sur les étagères de ma bibliothèque. Et pourtant sa poésie vaut véritablement le détour :



Désir que j’ai perdu

Paix de pierre

Je te retrouve au tournant du mur

Sous le figuier à l’ombre

Empoisonneuse



Une voix sensuelle et grave, traversée par des fulgurances. Certains poèmes sont emplis de violence, à l’image de la vie de la poète :



ENFANCE



Insouciante tu cours sous le soleil

Insouciante le ventre alourdi par

Le serpent de ton sang. Les seins

Saillants révélés par la première sueur transperçant

Ton tricot de fil blanc

D’Ecosse. Tu cours et ne sais pas

Que cette nuit la lune tapie

Sur le balcon guettera l’instant où tu t’assoupiras

Et subrepticement t’enlèvera ton enfance

En la tirant de sous ton coussin.



D’autres sont tout en délicatesse :



Je t’ai volé

Ta sueur

D’algue

Marine

Et la retiens

Sur ma poitrine

Sur mes bras

Entre mes cuisses

Dans ma

Chair

Je la retiens

Jusque

A l’aube



Les poèmes sont généralement courts et évoquent la nuit, la terre, le désir, l’amitié … autant de thèmes qui me sont chers. Et ce titre, Ancestrale, certains y verront une allusion au fait qu’il s’agit de la première œuvre, antérieure à ses romans. Moi je préfère y voir un hommage à une autre poète qui a, elle aussi, habité la solaire Sicile, il y a plusieurs siècles : Sappho, l’une des plus belles voix de la Grèce Antique.



J’aurais pu recopier quasiment tout le livre, tant j’ai été séduite. Qu’à cela ne tienne. Je garde ce recueil sur ma table de nuit, à côté de ceux de Marina Tsvetaïeva, d’Etel Adnan et d’Andrée Chedid. Pas de doute qu’il embellira mes nuits et peuplera mes insomnies :



Tu ne pourras plus sortir.

L’heure est passée. La nuit

A refermé les grilles.

Le soleil était là et tu as hésité.

Maintenant il te faut rester dans l’obscurité.

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Rendez-vous à Positano

Soyez persévérants !

Pendant pas loin de quatre-vingts pages, j'ai été déçu par ce livre, qui met tellement de temps à décrire un double coup de foudre : pour un village et pour une femme étrange. C'était déjà le cas pour l'Art de la Joie : en l'abordant j'avais oublié la mise en garde à propos du début (mise en garde que j'ai aussi oublié de transmettre, dans mes recommandations enthousiastes). Mais j'avais résisté au malaise, peut-être nécessaire pour que par contraste la suite de la narration me remplisse de bonheur.

Dans Rendez-vous à Positano, l'effet est moins fort : c'est un beau livre, à la fois joliment descriptif, puissant dans le récit central, et plein de délicatesse mêlée d'intelligence. Et le début est juste plus fade, sans heurter. Donc, soyez persévérants, évitez comme je l'ai lu ici de vous arrêter au bout de soixante pages, et d'en penser qu'il s'agit des émois d'une « actrice lesbienne », mot lus comme une injure. Goliarda Sapienza prend du temps pour introduire cette amitié raffinée, parler de ce village dont le charme lui semble ensuite dégradé par le tourisme, et de ses habitants, discrets mais si attachants.

La vie de son amie Erica* est le sujet central du livre, par le récit qu'elle en fait, et par les suites que ce récit a dans la relation entre les amies. Ne m'en veuillez pas si je refuse de dévoiler le récit, très fort et prenant, et si j'insiste seulement sur le lien que crée cette confidence. Rien que la description subtile de cette amitié profonde rend le livre prenant ; le reste (amour de Positano, petites histoires du village racontées avec tellement de coeur) est donné comme supplément de plaisir.

J'ai juste été un peu gêné par la richesse d'Erica. Goliarda Sapienza, antifasciste et socialiste aurait-elle malgré tout une fascination pour ces milieux, non seulement nobles de coeur et intellectuellement riches, mais aussi menant grand train de vie ?



*La narratrice garde le nom de l'auteure, mais ce personnage n'a pas le nom de son amie, et peu importe si sa vie est réelle ou inventée.
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L'art de la joie

Modesta naît le premier janvier 1900 dans un petit village de Sicile. Enfant d’une mère pauvre, seule et frustre, rien ne la destine à devenir une princesse. Ni la femme instruite, libre, indépendante et farouche qui va peu à peu s’affirmer.







A lire ce court résumé, on aurait presque l’impression de se trouver devant un conte de fée. Ou comment la jeune fille méritante rencontre le prince charmant qui l’arrache à sa pauvre masure. Mais Modesta n’est certainement pas une jeune fille méritante. Ou plutôt une jeune fille soumise à son destin, docile et attendant un époux pour quitter un état de dépendance pour un autre. C’est un personnage riche, dense, qui va traverser les pires années de 20e siècle avec une force de vie profonde.







Dès son enfance, son adolescence, Modesta affirme un caractère hors du commun, seul capable de lui permettre de résister au pire. Car dès le départ le pire lui est promis malgré son intelligence vive, sa sensualité déjà vivante : fille d’une pauvresse et de père inconnu, sœur d’une trisomique quand cela est encore considéré comme une punition de Dieu. Comment s’étonner dès lors qu’elle ne recule devant rien pour gagner sa liberté ?



C’est cette liberté qui est finalement le thème et le personnage principal de ce roman fleuve de 800 p. La conquête quotidienne de la liberté contre les autres, et surtout contre soi.



« En un éclair, je compris ce qu’était ce qu’on appelle le destin : une volonté inconsciente de poursuivre ce que pendant des années on nous a insinué, imposé, répété être le seul juste chemin à suivre. »



Pour elle, ce destin aurait du être celui d’une femme pauvre, d’une épouse soumise, d’une mère forcément aimante, ou d’une religieuse. Tout ce vers quoi la renvoyaient les hommes, certes, mais surtout les femmes, le rempart le plus sûr du conformisme social, les bourreaux les plus convaincus de leurs propres soeurs.







Ce n’est pas le seul conformisme, contre lequel se bat Modesta. On peut dire de ce personnage qu’il est la quintessence des convictions de Goliarda Sapienza : petite-fille de syndicalistes, née d’un père chef de fil du socialisme sicilien et d’une mère première femme à diriger la Chambre du travail de Turin.



Autour de Modesta/Liberté gravitent une galerie de personnages qui représentent tous un état de la société, ou un idéal. De Tuzzu le paysan à Carlo le médecin communiste en passant par Nina l’anarchiste et Joyce l’intellectuelle, on voit se dessiner en filigrane du récit des modes de vie opposés, des idéaux et des idéologies que la jeune femme va apprendre à connaître, accepter ou fuir, en tout cas toujours critiquer avec une lucidité parfois douloureuse.



« Mais l’amour n’est pas absolu et pas davantage éternel, et il n’y a pas seulement de l’amour entre un homme et une femme, éventuellement consacré. On peut aimer un homme, une femme, un arbre, et peut-être même un âne, comme le dit Shakespeare. Le mal réside dans les mots que la tradition a voulu absolus, dans les significations dénaturées que les mots continuent à revêtir. Le Mot amour mentait, exactement comme le mot mort. Beaucoup de mots mentaient. Ils mentaient presque tous. Voilà ce que je devais faire : étudier les mots exactement comme on étudie las plantes, les animaux… Et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations des siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout écarter pour ne plus m’en servir, ceux que l’usage quotidien emploie avec le plus de fréquence, les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, cœur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation. »



Telle va être la règle que Modesta va appliquer tout au long de sa longue vie, quelque soit le prix à payer pour cela.



« Ne jamais refuser de voir les côtés désagréables de la vie ; quand on ne la connaît pas, la réalité leur fait prendre des proportions gigantesques dans l’imagination, les transformant en cauchemars incontrôlables. »



A travers ce personnage hors du commun, Goliarda Sapienza aborde bien des thèmes peu usités dont le moindre n’est pas la sexualité féminine. Dès son enfance, Modesta est ce démon que combat l’Eglise, cette hystérique traitée par la psychanalyse des débuts. Une femme profondément sensuelle, qui apprend à être à l’écoute de son corps et de ses désirs, que ces désirs la portent vers un homme ou une femme. Goliarda Sapienza analyse ces désirs, analyse la sexualité et la culpabilité dont elle a été empreinte et livre à ses lecteurs des lignes d’une pertinence qui laisse rêveur.



« La vérité, c’est que quand tu trouves la femme ou l’homme qu’il te faut, alors il faut absolument arriver à s’entendre. Le corps est un instrument délicat, plus qu’une guitare, et plu tu l’étudies et plus tu l’accordes à l’autre, plus le son devient parfait et fort le plaisir. »



Une pertinence que l’on retrouve quand elle aborde des thèmes comme l’éducation des enfants, la politique, la religion, l’économie même. Une pertinence qu’elle acquiert sans doute en portant le même regard sur tout ses personnages, quelques soient leurs choix et leur sexe. Et en faisant de Modesta un personnage qui réfléchit. Important quand on y pense non ? Cette femme ne se contente pas d’accepter comme parole d’évangile ce qu’on lui dit, ce qu’elle lit. Elle l’analyse au regard de ses propres aspirations, et n’utilise que ce qui lui est utile, refusant toute aliénation et surtout, celle de la pensée et des idéaux. Il lui arrive de se tromper bien sûr, d’adhérer puis de quitter, mais ce n’est finalement qu’une manière de construire un système de pensée cohérent, son système de pensée. Un art de vivre précieux, je dirais même un objectif à atteindre.







Après ce long bavardage sur le fond du roman quid de la forme ? Non, je vais tout de même essayer de l’aborder, même brièvement !



L’art de la joie et un roman fleuve, dense, débordant de vie, mais parfois confus. La faute à l’usage de la langue que fait Goliarda Sapienza sans doute. Elle n’hésite pas à mêler langue classique et dialectes siciliens ou romains, langage médical et populaire ! Et surtout, elle heurte les temporalités : de longues pages sur un court instant, de longues périodes décrites en quelques lignes. Un moyen de rendre la psyché de Modesta sans doute, mais qui rend de temps en temps difficile la compréhension du récit. J’ai d’ailleurs eu du mal à rentrer dans cette lecture, au point d’avoir manqué de refermer le roman au bout de quelques pages. Je suis heureuse d’avoir persisté. Modesta n’est pas un personnage que l’on oublie facilement. Et elle donne une formidable leçon de vie.







« Le soleil levant m’envahit le cerveau, serein, comme libéré d’un poids d’angoisse qui depuis des mois et des mois me faisait tressaillir à la moindre ombre, au moindre bruit, et un calme jamais éprouvé m’envahit. J’ai envie de sortir, de courir dans ce soleil joyeux qui répète : tu es libre. Douceur de ne plus attendre, de ne plus dépendre d’une autre volonté. Personne ne m’enlèvera plus cette douceur, Mattia. »







« Je n’ai pas tremblé comme je le craignais, et maintenant je sais la raison de ma sérénité devant Pietro mort, devant la maladie de Prando. Ce n’est pas de l’indifférence, un émoussement des sens dû aux années comme je l’avais soupçonné. C’est la pleine possession de mes émotions et la connaissance suprême de chaque instant précieux que la vie nous offre en prime si on a fermeté et courage. »







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L'art de la joie

Je viens de terminer il y a quelques jours, avec une certaine émotion, ce roman de Goliarda Sapienza.

Un livre assez volumineux, un peu plus de 600 pages, et un roman qui ne laisse pas indifférent, qui laisse son empreinte dans mon esprit, et je n’oublierai pas, c’est sûr, les sentiments forts et contrastés qu’il m’a laissés. Et comme chaque fois pour un tel type de roman, une difficulté à en faire un commentaire adapté.



Car c’est un récit que j’ai trouvé magnifique, unique, incomparable, malgré ses défauts, ou, plutôt les difficultés de lecture qu’il peut poser, et contre lesquelles j’ai parfois pesté! Car l’autrice utilise des procédés narratifs si particuliers, originaux et parfois séduisants mais qui à certaines pages m’ont rendu la lecture vraiment difficile.

Dans chaque chapitre, ce sont, d’abord, un peu comme des séquences de film, des récits qui se suivent sans qu’il y ait de transition formelle entre eux, sans « contextualisation » pour employer un mot à la mode,

Et aussi, comme dans les films, certains évènements, tels la mort de Béatrice ou celle de Stella, ne sont pas décrits et n’apparaissent que comme des souvenirs dans le récit.

Et puis, il y a les dialogues fort (trop?) nombreux, comme dans une pièce de théâtre, plus faciles à suivre quand les protagonistes sont cités comme l’autrice choisit de le faire de façon originale dans certaines pages , mais vraiment difficiles parfois, car (est ce l’effet de l’âge en ce qui me concerne), j’avais quelque difficulté à comprendre qui était l’interlocuteur du débat.

Autre procédé inhabituel, et qui crée des changements de « focale » étonnants, c’est que le récit passe dans un même paragraphe de la narratrice interne, l’héroïne Modesta, à un narrateur « omniscient », ce qui crée une instabilité du récit qui n’a pas été pour me déplaire.

Et puis de temps à autre, Modesta s’adresse brusquement à un être cher disparu, telle la Béatrice tant aimée, ou perdu de vue, telle l’ambiguë Joyce.



Voilà pour les commentaires sur la forme.



Sinon, c’est un récit absolument bouleversant, dans lequel grouille la vie profonde des êtres humains.



Et d’abord, Modesta, quel étrange prénom pour cette femme puissante, cette amie plus que prodigieuse. Une femme née au tout début du 20ème siècle en Sicile, dans une pauvreté terrible (une première partie saisissante et dure) et dont le lecteur suit la vie, la détermination extraordinaire, la volonté de liberté sur tous les plans, y compris sexuel, qui deviendra par les choix qu’elle fait et les opportunités qu’elle saisit, avec parfois froideur et cruauté, une princesse atypique, sûrement pas une princesse de conte de fées, une princesse « rouge », détachée des biens, façon communiste ou anarchiste, et qui trouvera la paix et l’amour simple au seuil de la vieillesse.



Et puis il y a toute sa « famille » dont elle s’occupe, souvent comme une « mamma » sicilienne, tous ces enfants nés, pour l’un d’une liaison extra-conjugale, pour l’autre enlevé a la naissance à sa mère qui n’en voulait pas, pour un autre encore élevé à la suite de la mort de sa mère, etc.. Bref, une famille pas comme les autres, où bouillonne la vie, où les dialogues entre les protagonistes peuvent être excessifs, mais aussi sont souvent profonds, sur les événements politiques qui traversent le siècle, premier guerre mondiale, arrivée au pouvoir des fascistes, etc.. , sur la sexualité, le sens de la vie.



Mais surtout, ce qui m’a tant bousculé, c’est que c’est l’histoire d’une femme libre à tout prix, aimant autant les femmes que les hommes (la description de ses relations amoureuses est magnifique, pleine de sensualité et de passion) transgressant les règles d’une société corsetée, mais refusant la richesse et les honneurs, militant pour l’égalité des êtres humains.



En conclusion, une saga parfois difficile à lire, mais magnifique et inspirante, hors-normes, bien au-dessus de ce que l’on peut lire dans la production actuelle.

J’ai lu qu’un commentaire dithyrambique qualifiait ce livre de meilleur livre du monde. Je ne pense pas que l’on peut dire que tel grand livre ou tel grand auteur est meilleur qu’un autre. On ne peut comparer, par exemple, Proust et Céline, Tolstoi et Dostoievski, Kafka et Kundera, et je pourrais multiplier les exemples.

Mais ce roman, le premier que je lis de Sapienza, mérite, à mon humble avis, que l’on place au plus haut cette romancière qui fut mal jugée durant sa vie.
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L'art de la joie

Après plus de deux cent pages, ce roman me laisse de glace et même me répugne légèrement. L'héroïne semble elle-même peu concernée par ce qui lui arrive et cette distance est encore accentuée par le fréquent passage du "je" au "elle", comme si elle se voyait agir de l'extérieur. Je n'adhère pas à ce procédé artificiel dont la finalité m'échappe.

Le style est trop délayé dans un brouillard impressionniste raté : tout est terriblement lent, phraseux, et ce qui pourrait être dit en un paragraphe (court) se répand sur des pages et des pages. Les personnages noient leur interlocuteur (et le lecteur accablé) dans un flot de paroles inutiles, pontifiantes, frénétiques.

Bref je m'ennuie beaucoup et ne parviens pas à entrer en relation avec cette héroïne froide, calculatrice, simulatrice et finalement terriblement antipathique : rêvai-je ou a-t-elle commis un assassinat dès le début du roman ? L'art de la joie est-il compatible avec le crime ? Ma réponse, sans hésitation, est non.

Sans doute le manque de scrupules et l'absence de sensibilité permettent-ils d'écarter quelques obstacles sur la voie de l'émancipation : je laisse cependant cette Modesta d'acier inoxydable poursuivre sa route sans moi, espérant qu'elle n'emploie pas le même remède sur tous ceux qui menacent de l'aliéner : cela lui promettrait une belle carrière de tueuse en série.

Le personnage m'aurait davantage intéressée s'il avait été dépeint dans un style sobre et incisif, plus en accord avec son tempérament. Mais la sécheresse de coeur qu'elle manifeste dans un lyrisme sentimental et pseudo-poétique, voilà le véritable hiatus qui me fait trouver cette oeuvre insincère.

Une rencontre bien décevante.
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L'art de la joie

La route qui mène au paradis de la lecture est semée de ces pavés, de ces chefs d’œuvres intemporels qui épuisent en une histoire tous les sujets et toutes les émotions. L’Art de la joie entre dans un panthéon où figurent L’homme dé, Le maître et marguerite, Cent ans de solitude, Shantaram… (liste non exhaustive).

À quoi reconnaît-on un chef d’œuvre ? À cette sensation jubilatoire que tout ce que vous recherchiez est contenu dans un seul livre, au sentiment que beaucoup d’auteurs y ont glané leur inspiration : ici, Franck Bouysse, Marcus Malte, Cécile Coulon… (ce qui n’enlève rien au talent de ces auteurs).

Le personnage principal, Modesta, est d’une grande modernité, furieusement libre, maîtresse de son destin, à l’aise dans son corps comme dans son cœur, interdisant à qui que ce soit de lui dicter ce qu’il faut dire ou penser. Une femme qui se donne à celles et ceux qui lui apprennent - à baiser (Carmine), à nager (Carlo), à rouler à moto (Mattia), à psychanaliser (Joyce), à se débrouiller en prison (Nina) ou à mieux regarder sa terre natale, la Sicile (Marco).

En racontant sa vie incroyable, Goliarda Sapienza refait l’histoire d’une Italie qui, derrière soleils et sourires, cache de violents tourments, entre fascisme et dérive mafieuse, bâtards d’une même disgrâce.

Pour être objective, je pense que ce livre de 800 pages aurait pu en faire 150 de moins mais comme disait ma grand-mère : « ce n’est pas forcément en prenant les raccourcis qu’on profite le mieux de la balade ». Bien vu mémé ! L’art de la joie, c’est du slow reading et ça remplace aisément 3 ou 4 romans prétentieux et nombrilistes de la prochaine rentrée littéraire.

Bilan : 🌹🌹🌹

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L'art de la joie

Dans L'art de la joie, Goliiarda Sapienza brosse le portrait de Modesta, une gamine misérable qui vit comme "un petit animal puant" mais qui a étrangement conscience d'être destinée à une vie meilleure. Guidée par une volonté infaillible et une intelligence machiavélique, elle met tout en oeuvre pour l'accomplissement de son épanouissement personnel - sexuel, intellectuel et matériel. Rien ne l'arrête et surtout pas la morale dont elle n'a que faire. Sa joie féroce, animale, se conjugue avec un art du mensonge et de la dissimulation qui confine à la perversité. Comme par hasard, sa détermination est aidée par la chance qui décidément fait bien les choses ! A force de manoeuvres Modesta arrive à ses fins: elle vécut heureuse et eut beaucoup d'amant(e)s mais ni dieu ni maître.

Je ne voudrai décourager personne mais il vaut mieux apprécier les romans fleuves pour se plonger dans la lecture de L'art de la joie. Ce gros pavé de 637 pages m'a donné une indigestion avant même que je réussisse à en venir à bout. J'ai aimé le début très immoral du roman mais j'ai capitulé au milieu du récit, mon intérêt pour Modesta diminuant au fil des pages. Plus elle réussit, moins elle devient passionnante car elle perd ce caractère sulfureux qui la rend si fascinante dans les premières pages.

Les idées libertaires, les moeurs scandaleuses de Modesta et peut-être la longueur de roman ont rebuté les éditeurs italiens qui ont tous refusé le manuscrit de Goliarda Sapienza. C'est son mari qui l'a fait paraître à ses frais mais malheureusement l'ouvrage n'est sorti en librairie qu'après la mort de son auteur.
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L'art de la joie

L’Art de la joie est un de mes romans capitaux, de ceux qui forgent plus qu’on ne le pense : le goût littéraire, le plaisir de la langue, la culture du politique, l’amour libre et l’amour de la liberté. Deuxième lecture pour ce pavé dans ma mare intime, et toujours la même émotion, proche de la révélation.



Née avec le XXe siècle, Modesta est tout à la fois : aimante, amante, cruelle, curieuse, passionnée, obstinée, détachée, libertaire, libertine, socialiste, princesse, inébranlable, érudite, imprévisible, ambitieuse, poétesse, oratrice, violente, amoureuse, sicilienne. Aucune contradiction ne peut avoir raison d’elle et de la conviction qu’elle met dans chacune de ses actions. Elle est intransigeante et ne connaît que peu l’indulgence. Masure, couvent, palais, villa, prison, studio : autant de toits pour ses idées et ses audaces.



Goliarda Sapienza dépeint avec une force déconcertante des personnages radicaux, qui parfois paraissent incompatibles, mais sont surprenamment complémentaires. Ils sont les modèles d’une Italie façonnée par des temps incertains. En pleine période fasciste, l’engagement de Modesta est un formidable terreau intellectuel et politique. Elle regarde et pense le monde, les relations et le pouvoir, bien éloignée de tous les poncifs étriqués. Incontestablement autonome, elle est très entourée, d’êtres et de fantômes. Tous tissent la toile de fond de sa vie et sont les témoins de son existence impétueuse. Amoureuse, épouse, mère et grand-mère, Modesta l’est à sa manière et, incidemment, cela morcelle le schéma dominant, pour trouver un équilibre autre, parfois précaire mais authentique.



Modesta et Goliarda ne font pas qu’une, et pourtant l’autrice donne le sentiment d’incarner pleinement son héroïne. On retrouve l’originalité d’une pensée et un décalage, parfois seulement infime mais toujours présent, avec les autres. Cela tient à la poésie des mots : une justesse et une précision dans l’écriture qui, en dressant une atmosphère palpable, ouvre la porte à la réflexion et à l’imagination.



Décidément, Goliarda Sapienza sait me toucher et m’impressionner.
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