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Citation de Josephine2


Le royaume évanescent de l’éphémère

Nous venons de célébrer la gloire des composants stables de la matière par une symohonie qui s’est ouverte dans une tonalité majeure, rassurante et majestueuse, quand soudain un triton, totalement inattendu, nous plonge dans l’angoisse.

Le monastère Fonte Avellana a été construit à flanc de montagne, au plus profond de la forêt du mont Catrioa, dans les Apennins des Marches. Il est situé à une cinquantaine de kilomètres de la splendide ville Renaissance d’Urbino et ses origines remontent à la fin du xè siècle. C’est en effet vers 980 que des ermites choisir d’y mener une vie isolée du monde, faisant de Fonte Avellana l’un des plus anciens monastères d’Europe ainsi qu’un centre influent de diffusion des moines camaldules, un ordre bénédictin qui tire son nom de l’ermitage de Camaldoli, situé près d’Arezzo.
Le monastère est un édifice complexe, à la structure labyrinthique, résultat d’ajouts successifs et de transformations diverses ; on peut encore reconnaître l’ancien scriptorium aux vastes fenêtres où les copistes reproduisaient les volumes les plus anciens. Les manuscrits précieux sont conservés dans une splendide bibliothèque, à l’entrée de laquelle se trouve une inscription en grec, merveilleuse synthèse de l’importance de la culture : psychés iatreion, « le lieu soigne l’âme ».

Les moines qui gèrent le monastère permettent aux visiteurs qui le souhaitent de fourmir dans les anciennes cellules. Elles ont été modernisées, mais conservent encore la mémoire des moines les plus célèbres y ayant séjourné et dont les noms figurent en bonne place sur la porte. Le hasard a voulu que m’on m’attribue celle Guido Monaco, ou Guido d’Arezzo ; j’ai donc dormi dans la la cellule de l‘homme qui le premier a codifié le langage moderne de la musique.

Le moine bénédictin fut prieur du monastère de Fonte Avellana entre 1035 et 1040 et il est possible avec permission de voir, sans les toucher, certains de ses manuscrits conservé dans la biblothèque. Guido Monaco est l’inventeur de la notation musicale moderne, c’est-à-dire des notes qui, aujourd’hui encore, mille ans plus tard, sont désignées selon les syllabes initiales des versets de l’hymne à Saint-Jean-Baptiste.

Guido Monaco a été parmi les premiers à remarquer que le triton, deux notes séparées par trois tons, créait une disharmonie insupportable pour l’oreille humaine. Cet intervalle faisait frémir les auditeurs et l’on pensait que le diable n’y était pas pour rien. Le diabolus in musica a d’ailleurs été utilisé dans les riffs les plus célèbres des Black Sabbath, un groupe de rock heavy metal des années 1970, dans la bande-son de nombreux films d’horreur, ainsi que pour les sirènes de police et de pompiers.
Le triton alarme, effraie, car il annonce quelque chose de terrible. Et voilà que nous sommes contraints, nous aussi, de changer rapidement de tonalité et de passer du monde rassurant et glorieux de la matière stable à celui, inquiet et angoissant, des formes les plus éphémères. La transition est brutale. La grande symphonie compacte et ordonnée, à laquelle participaient toutes les sections de l’orchestre, s’interrompt brutalement pour laisser place à une atmosphère raréfiée, oppressante, qui nous enveloppe dans une séquence aléatoire de trilles et de bruissements sous-tendus par un grondement lointain de percussions.
L’accord diabolique nous introduit dans le cercle infernal des particules instables Des formes de matière dont nous ignorions tout jusqu’à récemment surgissent durant une fraction de seconde et changent immédiatement de forme. Ce monde d’objets éphémères, à l’existence quasi insignifiante, évoque le monde des spectres qui plonge Hamlet dans le plus sombre des désespoirs.

Les autres particules élémentaires, et toutes formes de matière construites à partir d’elles, sont très instables. Elles disparaissent quasi instantanément, se désintégrant en un minuscule feu d’artifice. Des formes exotiques de matière naissent de collisions de rayons cosmiques avec la matière ordinaire ou sont parfois produites dans les accélérateurs de particules ; leur durée de vie est néanmoins très courte car elles se transforment immédiatement en particules stables.
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