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Citation de Charybde2


Ce soir-là au crépuscule, quand Kwan A-hung se pendit sous le jaquier, un feu de plaine tournoyait dans les chaumes, une brume sale et poisseuse se répandit sur la campagne et engloutit la moitié de Krokop, le Bouk aux Sangliers. Un soleil rougeoyant flottait, strié par les vapeurs et les fumées, tel un banc de carpes dorées. Des éperviers bleus aux ailes de braises ardentes, qu’illuminaient les flammes élancées vers le ciel, volaient bas en cercle et fondaient sur leurs proies en fuite dans l’océan de feu. Les plaintes de dizaines d’oiseaux s’élevaient des bosquets, les plus sonores, les plus affligées d’entre elles étaient celles des grands coucals, immobiles au bout des branches ou recroquevillés sur le sol, ils regardaient brûler leurs nitées tout juste sorties de l’œuf ou en âge de s’envoler.
Les villageois allaient et venaient entre leurs champs, leurs vergers, leurs poulaillers, sans prêter la moindre attention au feu ni à ses lugubres hurlements, mais un vent de sud-ouest s’abattit sur le village et, en un rien de temps, la fumée ennassa les récoltes ainsi qu’une centaine de maisons sur pilotis, dans la panique ils prirent la fuite, la peur s’empara du bétail et des basses-cours, même les dîners eurent une odeur de brûlé. Les enfants du village exultèrent, retenant entre leurs doigts la bande de tissu de leur lance-pierre, tenant dans l’autre main le manche taché de sang d’oiseau, ils bandaient l’élastique puis tiraient sur les volatiles fuyant l’incendie, sur les roussettes et les éperviers qui planaient bas avec arrogance. Les roussettes dont la membrane d’une aile avait été trouée par les gamins gisaient à leurs pieds, faces de renard écarlates toutes pleines de poils, aux grandes oreilles, elles poussaient vers eux des cris de rage terribles.
Certaines pierres lancées par les enfants dégringolèrent sur la tôle zinguée des toits des maisons dans un tintamarre strident et cristallin. Les villageois croyaient dur comme fer que ces pierres tombées du ciel sur leurs habitations n’attisaient rien de moins que la colère divine, appelaient les calamités, mais leurs sermons n’ébranlèrent nullement l’humeur taquine des garnements et leur instinct meurtrier.
Quand les fumées qui enveloppaient le domaine de Kwan A-hung se furent peu à peu dissipées, les gosses traversèrent la clôture et virent son corps sous le jaquier.
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