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Pierre-Mong Lim (Traducteur)
EAN : 9782809716702
Editions Philippe Picquier (05/04/2024)
3.89/5   35 notes
Résumé :
Vous tenez entre les mains un roman puissant, sauvage et magnifique. On y pénètre comme dans une terre inconnue, jamais arpentée, et si rayonnante de vie (et de mort) qu’on voudrait que le voyage ne finisse jamais.

Décembre 1941. Le Bouk aux Sangliers est un village perdu au nord de Bornéo. Jadis repaire de pirates, de coolies et de chercheurs d’or, il a gagné son nom au terme d’une lutte épique des chasseurs contre les premiers occupants, les sangli... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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Réalisme magique sur la petite île de Bornéo !

Le côté flamboyant et foisonnant mâtiné de fantastique de ce grand livre, La traversée des sangliers, m'a fait un peu penser au récent roman « Léopard noir, loup rouge » de Marlon James ; Dans ce dernier le réalisme magique sud-américain prenait ses aises en Afrique, ici il se déploie à Bornéo. En revanche, si le début du livre s'avère délicat à appréhender (au point d'avoir voulu l'abandonner), le temps de bien comprendre où nous sommes et qui sont les protagonistes de l'histoire (d'autant plus que les noms sont très exotiques), il se lit ensuite avec fluidité. Contrairement au livre de Marlon James, le livre de Zhang Guixing, écrivain de Taïwan né à Bornéo, n'est pas aussi complexe, aussi fastidieux à suivre. A noter cependant une chronologie déconstruite, le lecteur ne cesse de sauter du présent au passé, puis du passé au présent, ce qui peut perturber les lecteurs non habitués à ce genre de récit à la structure éclatée.

La traversée des sangliers raconte le quotidien d'une petite ville de pionniers chinois à Bornéo sous l'occupation japonaise. Nous côtoyons ainsi une galerie de personnages très pittoresques, simples et modestes, profondément humains, que l'auteur va plonger dans l'amour, dans la violence, dans la simplicité des activités quotidiennes, dans les us et coutumes et les rites, voire les mythes. Et ce dans une nature absolument grandiose, une jungle verdoyante, forte, imposante dont les durians, les jacquiers, les mandariniers, les longaniers, les pluies torrentielles, étouffent, de leur exubérance, les petites tragédies humaines.

« Une pluie d'orage de l'après-midi s'abattit. C'était le début de la saison sèche, des nuages jaune paille débordaient des crevasses du dôme céleste, les gouttes tombaient, vertes comme des brins d'herbe. La pluie tombait tantôt drue, tantôt éparse, oblique, abrupte, remontait vers le ciel. L'avant-toit de la galerie gouttait par intermittence, comme un vieil homme à la prostate gonflée met une éternité à pisser. La bruine persistait, les dépressions du sol abreuvé formaient des flaques ».

Cette communauté vit à Krokop aussi appelée le Bouk aux sangliers. Cette petite ville, située sur la côte nord-ouest de Bornéo, est une terre fertile, riche en bois, en gibiers et en poissons, et surtout gorgée de pétrole. Elle a dû être chèrement conquise par des pionniers, issus de la diaspora chinoise, sur les premiers habitants de ce territoire, à savoir les sangliers. Une bataille mémorable et sanglante, menée par Tzo Da-dy, est ainsi livrée sur une horde gigantesque. Celui-ci devient le chef des chasseurs et acquiert un certain charisme sur le reste de la communauté. Cette bataille fondatrice a donné le nom au village.

« Quand, en 1911, on découvrit du pétrole dans le village, des ouvriers spécialisés d'origine chinoise et des migrants affluèrent en nombre, une forêt d'échoppes en planches poussa, grignotant le territoire des sangliers, les bêtes se rebellèrent emmenées par un mâle dominant de la taille d'un boeuf, elles commencèrent à expulser les humains avec régularité et méthode, en six mois elles avaient reconquis d'innombrables terres cultivées, pris la vie de trois enfants, deux femmes et une vieillarde, les victimes n'avaient pas été piétinées et réduites en bouillie, non, mais dévorées toute entières, les villageois mirent sur pied une équipe de chasse, sans grands résultats, jusqu'à ce que les chasseurs Tzo Da-dy, Tsui le Biscornu, Ti Kim et Tortue Molle s'installent au village ».

Cette violence originelle se poursuivra lorsque les Japonais débarqueront en décembre 1941 après avoir attaqué la Chine en 1937. Tous les habitants, du fait de leur origine chinoise, ont participé au Comité de sauvetage de la patrie et des réfugiés, afin de lever des fonds (notamment via une représentation théâtrale par les écoliers dont les masques colorés surgissent de temps à autre au cours du récit). Cette participation les rend fautifs, y compris les enfants, ils seront ainsi les victimes malheureuses des japonais appelés les Monstres dans le livre (il faut un petit temps pour comprendre de qui parle l'auteur en évoquant ces fameux monstres).

Ainsi, attention, âme sensible s'abstenir. Ce roman est très violent tant envers les animaux (notamment les sangliers) qu'envers les humains face à cette nature qui suit son cours souvent de façon arbitraire et injuste. Des mains sont happées par les crocodiles, des gens dévorés par les sangliers, des têtes sont décapitées, des sangliers sont massacrés, des hommes se pendent (c'est d'ailleurs l'incipit du livre), d'autres ont des blessures terribles (un des hommes par exemple a été scalpé et tente tant bien que mal de cacher sa terrible cicatrice), des femmes sont violées pendant que d'autres meurent en donnant naissance à leur bébé. Quant à la cruauté de la guerre, elle est sans limite. D'ailleurs les hommes semblent plus sauvages encore que les animaux.
Le sort de cette communauté est tragique, la violence surgit à tout moment, seul l'opium, que les habitant consomme en quantité astronomique, permet d'oublier. Quant à la nature, elle ne cesse de déployer ses charmes et sa poésie, indifférente au sort de ceux qui l'habitent.


L'écriture, très belle, contemplative lorsqu'elle décrit la nature jusque dans les moindres détails de la flore et de la faune (que d'arbres méconnus mentionnés, que de fleurs dont le parfum embaume l'air, que d'insectes décrits, que de ciels, que de nuages, que de sons et que d'odeurs), rend magnifiquement l'ambiance de la jungle, compensant, un peu, l'horreur de la violence. Elle magnifie par ailleurs chaque personnage, met en valeur son humanité, ses forces, ses faiblesses, son caractère. La présence solaire des enfants, nombreux, renforce cette humanité et cette douceur qui est distillée malgré le côté sombre du récit. Par ailleurs, l'auteur, dans certains chapitres, utilise le ton et le rythme du conte pour mettre à distance cette violence. J'ai été très sensible à la façon dont l'auteur décrit les scènes d'amour ou brosse les portraits féminins, c'est d'une belle sensualité.

« Durant les trente années qu'il avait vécues, Kwan ne s'était jamais trouvé seul avec une femme. Il s'accroupit devant elle, on aurait dit un chasseur examinant des empreintes fraiches ou des laissées récentes afin de déterminer le passé et l'avenir. Devant cette créature roulées par les flots, dont les seins dressés recouvraient presque la clavicule et dont la natte, qui devait descendre jusqu'au bas du dos, pendait sur la poitrine, les yeux de Kwan s'emplirent de tourbillons. Il tendit la main, la posa sur l'épaule, hésita, puis la retira, il ne savait pas s'il devait la réveiller ou attendre qu'elle se réveille seule. Son visage était constellé de boutons d'acné, ses lèvres étaient incroyablement roses, pulpeuses, sur sa joue gauche il y avait un grain de beauté dodu en forme de fourmi, quand la jeune fille, un peu plus d'un an après, trépasserait, Kwan ne parviendrait jamais à se rappeler l'emplacement exact de ce grain de beauté ».

A noter également, au début d'un grand nombre de chapitres, un passage d'environ une demi page donne une explication très pédagogique d'un élément de la culture de Bornéo, comme, par exemple, le chapitre intitulé Parang, qui, au début du chapitre en lettres italiques, explique au lecteur qu'il s'agit d'un long couteau à la lame recourbée comme une lune utilisé par les aborigènes de l'archipel malais. Un développement lui est consacré puis le chapitre qui suit a trait, dans l'aventure relatée, à ce Parang. C'est très intéressant.


Au final, ce livre sensoriel et contemplatif est un grand livre d'aventure où s'entrelacent la bonhomie joyeuse d'une communauté de gens simples, l'horreur de la violence issue notamment de la guerre, une magnifique poésie dès que la nature est convoquée, le fantastique dès que les visions sont altérées par la drogue, la connaissance de l'Histoire de cette partie du monde ainsi que de ses coutumes. le ton du conte le dispute au roman d'aventure, la pédagogie au ton doctoral à l'écriture contemplative, la leçon d'histoire aux hallucinations fantastiques sous l'effet de l'opium. J'ai eu du mal à en démarrer la lecture mais une fois dedans j'ai été happée, avec un intérêt variable selon les chapitres. J'en ressors secouée, à la fois émerveillée et bousculée. Un livre inoubliable, quoique un tantinet trop violent à mon goût…

Si je devais représenter ce livre en tableau, je prendrais sans hésiter un tableau du douanier Rousseau…« Il s'imaginait transformé en arbre à durians, dans ses branches des singes se livraient à une bacchanale, au-dessous une harde de sangliers fouillait la terre, c'était un tumulte de cris, un beau rêve éveillé ».



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Avant le début de la 2ème Guerre mondiale et l'arrivée des japonais, les habitants du village du Bouk aux sangliers, au nord de Bornéo, avaient déjà l'habitude des massacres mais ceux des innombrables sangliers qui dévastaient régulièrement village et cultures. Les villageois se transformant en chasseurs et l'opium aidant devenaient des massacreurs assoiffés de sang. Dans la culture de ces villageois les êtres légendaires et sanguinaires pullulent et la contemplation des méfaits des crocodiles et autres prédateurs n'incite pas à la faiblesse.

Avec l'envahissement par les japonais les rôles s'inversent et les chasseurs deviennent victimes de ceux qu'ils appellent les monstres. Les exécutions sommaires deviennent monnaie courante, le moindre déplaisir de l'occupant entraine des représailles qui permettent aux militaires japonais de vérifier la qualité de leurs armes ; hommes, femmes, enfants sont passés au fil de leurs sabres. Une résistance s'organise, la forêt impénétrable servant d'abri aux plus courageux des villageois qui combattent avec leurs faibles moyens mais avec leur connaissance du terrain et l'aide de l'opium que tous consomment abondamment. Jusqu'à la défaite du Japon la guérilla sera impitoyable et se finira par les règlements de comptes d'usage.

Chef d'oeuvre promet le bandeau de l'éditeur ! Sans doute pour certains mais d'autres trouveront le roman trop confus, trop chargé, trop violent.
La chronologie est déconstruite, les destins des principaux personnages sont racontés de façon décousue et elliptique, l'originalité principale vient de la contemplation au coeur de l'action : l'auteur interrompt fréquemment la narration pour décrire longuement des éléments de la forêt. Arbre, fleur, animal, nuage, odeur sont l'objet de son attention pour créer un contraste entre l'horreur créée par les hommes et la quiétude éternelle de la Nature indifférente.
Ce qui au début distille une réelle poésie devient lourd à la longue, la langue est belle et riche mais finit par lasser. de même le lecteur doit rechercher la réalité au milieu des visions qu'ont les acteurs sous l'emprise de l'opium. Enfin la violence est extrême, les actes de cruauté s'enchainent, saisis par la guerre et la drogue japonais et résistants s'étripent sans raffinement, souvent sans raison mais avec plaisir.
Pour ceux que cela n'effraie pas, qui sont prêts à se laisser porter par une langue superbe, à admirer jusqu'à l'infini la beauté de la faune et de la flore de Bornéo et à contempler la folie des hommes à son paroxysme, le chef d'oeuvre annoncé est peut-être au rendez-vous.
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« C'était juillet, l'été féroce imprimait sa morsure de chacal, poussait son hurlement de loup » : dans le Bornéo de la diaspora chinoise sous invasion japonaise en 1941, un immense roman réaliste et magique pour traquer les oppressions et les résistances quotidiennes dans les plis de la grande Histoire.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/07/12/note-de-lecture-la-traversee-des-sangliers-zhang-guixing/

Niché à l'embouchure de sa rivière descendant droit de la jungle et des montagnes de l'arrière-pays, connu pour ses eaux poissonneuses et pour les hardes qui lui valent son surnom de « Bouk aux Sangliers », Krokop, gros village de la côte nord de Bornéo, coule une vie presque paisible en ce début des années 1940. Entre une économie coloniale d'opulence et une économie de subsistance qui n'exclut pas certaines manifestations occasionnelles de solidarité, les quelques colons néerlandais ou britanniques côtoient une florissante communauté chinoise, une importante population malaise, quelques membres de la diaspora japonaise, et, de temps à autre, quelques Dayaks descendus pour quelques courses en ville de leur domaine de jungle qu'ils ne partagent qu'avec de rares chasseurs expérimentés. Dans les vapeurs régulières d'opium qui baignent une bonne partie du village presque autant que la fumée de tabac, on cultive soigneusement des amitiés bonhommes, des amours probables ou improbables, de menues crapuleries honteuses, et quelques secrets potentiellement effroyables. Rien que de très normal, en somme, dans un décor extraordinaire dans lequel « La Rescousse » de Joseph Conrad, ou ses autres romans « indonésiens » et « malais » (la rupture politique post-décolonisation n'interviendra de fait qu'en 1963), aurait muté au fil du siècle, si ce n'est peut-être que certains mythes cruels du folklore régional semblent disposer ici d'une curieuse réalité.

Alors survient le 13 décembre 1941, et l'invasion de Bornéo par l'armée impériale japonaise.

On a beaucoup parlé, et tout à fait à raison, de réalisme magique à propos des romans de Zhang Guixing (Chang Kuei-hsing en anglais et 張貴興 en chinois), Chinois de la diaspora, né au Sarawak (la partie malaisienne de l'île de Bornéo) en 1956 et installé à Taïwan (dont il a obtenu la nationalité en 1982) depuis 1976. Avec cette « Traversée des sangliers », son septième roman, datant de 2018 mais le premier traduit en français, en janvier 2022, par Pierre-Mong Lim pour les éditions Picquier, nous découvrons ainsi une manière très personnelle, et pour tout dire plutôt extraordinaire, d'insérer avec une cruauté sans fard la grande Histoire dans la microscopique, de pratiquer une sorcellerie par laquelle les sangliers semblent souvent doués de raison (le formidable rapport puissamment ambigu entre nature et culture, dès les premières pages, établissant comme une connivence secrète avec, par exemple, le « Princesse Mononoké » d'Hayao Miyazaki), les penanggalans (que les plus vieux rôlistes ici auront peut-être rencontré au détour du Fiend Folio d'AD&D 2 vers 1981-1984) évoluent librement à la nuit tombée si l'on n'y met pas bonne fin, les soldats japonais (appelés – on saura hélas vite pourquoi – les « Monstres » tout au long de l'ouvrage) peuvent continuer à pédaler quelques semaines sur leurs vélos même après que leurs têtes aient été soigneusement tranchées par les derniers résistants encore en vie.

Tissé de jungle et de magie, d'avidité et de sadisme, d'amour et de dissimulation, de poésie subtile et de mélancolie indéracinable, en un cocktail rarissime, « La traversée des sangliers » tire aussi sa force particulière d'un jeu sans pitié avec la chronologie, jeu par lequel de très nombreux flash-backs et flash-forwards, qui ne se présentent pas toujours d'emblée comme tels, établissent un réseau serré de correspondances mystérieuses, qui se dévoileront pourtant toutes in fine, entre passé, présent et futur, entre ce qui ressort de l'individu et ce qui ressort du collectif, ou entre les moments héroïques parfois ignorés et les abîmes de lâcheté bien dissimulés (tous les collaborateurs de l'occupation ne seront pas si faciles à identifier). Et c'est ainsi que l'on tient entre ses mains un roman immense, traquant avec une joie féroce les oppressions et les résistances réputées invisibles dans les plis les plus inattendus de la grande Histoire officielle.

L'excellente chronique de Sébastien Omont dans En attendant Nadeau est à lire ici, celle de Nils C. Ahl dans le Monde des Livres est ici, celle de Frédérique Fanchette dans Libération est là, et celle de Christian Desmeules dans le Devoir est là. Mentionnons aussi sans faute que la traduction de Pierre-Mong Lim (face au foisonnement d'un vocabulaire extrêmement précis de la nature déployé par l'auteur taïwanais), comme sa précieuse préface, impressionnent.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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Vous qui aimez être dépaysé , ce roman est pour vous ! Son auteur ,chinois de la diaspora ,né à Bornéo et vivant à Taiwan nous emmène à Krokop petit village côtier au nord de Bornéo à la population mêlée , indonésien, chinois , japonais et Dayaks . Son récit couvre une trentaine d'année de la vie de cette communauté avec deux moments marquants (et qui se répondent) : l'irruption d'une immense horde de sangliers en migration et ,en 1941 , l'invasion japonaise et l'occupation qui s'en suit jusqu'en 1945. Massacres et tortures , soumission et résistance , libération et vengeance, parang contre katana ,le cycle des violences est constant et on retrouve les terribles situations propres à ce type de moment : bravoure , lâcheté , traitrise . Très étonnante la présence constante des enfants comme acteurs et victimes des combats . Outre cet épisode peu connu de la guerre du Pacifique, le roman se distingue par une écriture d'une fascinante originalité : omniprésence d'une nature luxuriante , symphonie d'évocation sensuelle par l'usage constant de métaphores , alternance de beauté exaltée et d'horreur . Les personnages nombreux sont aussi pittoresques qu'attachants .Le mélange des rêves nourris par l'opium et d'un melting-pot de références culturelles crée une ambiance onirique proche du réalisme magique de Garcia Marquez . Un très grand roman qui m'a ébloui et emporté.
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La traversée des sangliers est un magnifique roman qui nous plonge au coeur de la jungle de la province de Sarawak, à Bornéo.

À travers ce roman, nous suivons tout un groupe de personnages hauts en couleurs : des chasseurs, des fumeurs d'opium, des commerçants, des villageois et leurs enfants. Nous sommes plongés dans la moiteur de cet environnement, dans une nature luxuriante, abondante et menaçante. En trame de fond, nous assistons à l'invasion de cette île par les Japonais, appelés Monstres par les villageois.

Le récit alterne plusieurs époques, nous sommes les témoins de moments de vie de nombreux personnages. le réalisme magique qui imprègne l'univers de Zhang Guixing n'est jamais très loin et c'est un vrai délice. La vie de ses habitants est rythmée par la chasse, la survie face à l'envahisseur et l'amour. Les mythes populaires sont aussi très présents, il n'est pas rare qu'un homme se fasse attaquer par une femme "vampire" ou qu'une femme se fasse vider de son énergie par un terrible esprit. Il vous arrivera aussi de voir un coq sans tête qui mène sa vie comme si de rien n'était, ou qu'un homme puisse retenir indéfiniment sa respiration sous l'eau sans grande difficulté. La magie est distillée à droite et à gauche mais la réalité de la guerre vient souvent entacher ces instants suspendus hors du temps.

La langue est riche, la narration est dense, chaque phrase est une image, les descriptions sont incroyables. Les personnages nous font rire et pleurer. Nous en apprenons plus sur ce que les peuples des îles d'Asie du Sud-Est ont pu subir durant l'occupation japonaise.

Le petit plus très agréable de ce roman : la préface du traducteur, Pierre-Mong Lim, une aide bien précieuse et très bien écrite pour comprendre l'auteur.
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critiques presse (3)
LeDevoir
04 mai 2022
L'invasion japonaise de Bornéo vue à travers la langue éclatée et le réalisme magique de Zhang Guixing.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LeFigaro
20 janvier 2022
L’occupation japonaise de Bornéo racontée par un personnage merveilleux qui parle des langues sans nombre.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeMonde
07 janvier 2022
S’il fallait trouver un mouvement pour caractériser La Traversée des sangliers, sa construction, son écriture, celui-ci serait à coup sûr circulaire. Ample aussi, comme les près de 600 pages qui le composent, et rapide comme un sabre qui s’abat – il en tombe ici comme s’il en pleuvait.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Ce soir-là au crépuscule, quand Kwan A-hung se pendit sous la jaquier, un feu de plaine tournoyait dans les chaumes, une brume sale et poisseuse se répandit sur la campagne et engloutit la moitié de Krokop, le Bouk aux sangliers. Un soleil rougeoyant flottait, strié par les vapeurs et les fumées, tel un banc de carpes dorées. Des éperviers bleus aux ailes de braises ardentes, qu'illuminaient les flammes élancées vers le ciel, volaient bas en cercle et fondaient sur leurs proies en fuite dans l'océan de feu. Les plaintes de dizaines d'oiseaux s'élevaient des bosquets, les plus sonores, les plus affligées d'entre elles étaient celles des grands coucals, immobiles au bout des branches ou recroquevillés sur le sol, ils regardaient brûler leurs nitées tout juste sorites de l’œuf ou en âge de s'envoler.
(Incipit)
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Les villageois bataillèrent plusieurs mois durant, puis découvrirent que les sangliers nichaient sur tout le territoire, leurs excréments jonchaient le sol, leurs empreintes étaient énormes, leurs grognements résonnaient sans cesse aux oreilles, il y avait des vieilles bêtes noires à la crinière hérissée, des jeunes puissants aux défenses arrogantes, des laies gravides, des marcassins qui avaient encore leur livrée beige à rayures, il y avait des sangliers sédentaires qui vivaient là et vaquaient paisiblement à leurs occupations, d’autres étaient des vagabonds sans foi ni loi. Après l’usurpation de leurs terres par les villageois, les sangliers amorcèrent la contre-attaque, parfois ils patrouillaient en groupe, d’autres fois quelques individus menaient des actions de guérilla, ils piétinaient les cultures, dévastaient les étables et les tonnelles, attaquaient les villageois. Quand, en 1911, on découvrit du pétrole dans le village, des ouvriers spécialisés d’origine chinoise et des migrants affluèrent en nombre, une forêt d’échoppes en planches poussa, grignotant le territoire des sangliers, les bêtes se rebellèrent, emmenées par un mâle dominant de la taille d’un bœuf, elles commencèrent à expulser les humains avec régularité et méthode, en six mois elles avaient reconquis d’innombrables terres cultivées, pris la vie de trois enfants, deux femmes et une vieillarde, les victimes n’avaient pas été piétinées et réduites en bouillie, non, mais dévorées tout entières, les villageois mirent sur pied une équipe de chasse, sans grands résultats, jusqu’à ce que les chasseurs Tzo Da-dy, Tsui le Biscornu, Ti Kim et Tortue Molle s’installent au village.
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En 1880, les Karayuki-san avaient émigré un peu partout en Asie du Sud-Est, l’argent de leur traite apportait un soutien considérable au Japon dans sa guerre contre la Russie. En 1911, quand Krokop se mit à produire du pétrole, ces demoiselles des mers du Sud ne tardèrent pas à rappliquer. Les billets de banque des colonies du Détroit que les michés tels que Ti Kim ou Tzo Da-Dy dépensaient chez la gent crocodilienne, l’argent du prêt que le père d’A-hung avait contracté pour son vélo Fuji, la menue monnaie qui servait à Tso Ta-tsi et sa bande pour acheter masques et jouets, tout cela contribua à la formidable puissance de feu grâce à laquelle l’armée impériale envahit la région. Kameda l’acupuncteur et Watanabe le dentiste aimaient aller jeter leur ligne dans le port, ils discutaient de leurs prises avec les pêcheurs du village, ils mesuraient aussi la profondeur en eau du port, ce qui permit à la marine japonaise d’y jeter l’ancre ; Sasaki le photographe faisait maintes promenades en montagne, maintes sorties en mer, il prenait des clichés en noir et blanc de femmes splendides et d’animaux dans des attitudes majestueuses, son méticuleux travail exposé dans la vitrine de son studio était laissé à l’admiration des villageois, mais il envoyait aussi la topographie des lieux au quartier général de Tôkyô. Les marchands ambulants Oshida et Kobayashi avaient arpenté les ruelles sordides et la campagne, ils se rappelaient les adresses mieux que le facteur, et mieux que des boas savaient la taille des porcs, des moutons et de la volaille de chaque maison. Avant l’invasion du 16 décembre 1941, ces Japonais et les Karayuki-san quittèrent précipitamment le pays, trois ans et huit mois plus tard, Maïtre Hsiao donnerait son ultime leçon à l’ombre d’un upas, il commenterait le quatre-vingt-neuvième chapitre de L’investiture des dieux : « Le dernier roi des Shang fait éventrer trois parturientes », l’épisode du Voyage en Occident où Huit Tabous transformé en silure s’ébat avec les filles de la grotte aux toiles d’araignée, il se rappellerait l’obscène brutalité des Monstres, la fausse compassion de Kameda et de Watanabe, la feinte humilité d’Oshida et de Kobayashi, la mort tragique de la moitié de ses élèves, alors il cracherait du sang, les enfants s’alarmeraient et, deux heures plus tard, il trépasserait brutalement.
Trois mois après qu’ils eurent débarqué, une troupe de Monstres, accompagné de Kobayashi, se rendirent chez le Biscornu pour prélever l’impôt de six dollars par tête, celui-ci avait senti le vent et s’était carapaté, assis sur la terrasse les soldats tiraient avidement sur les Three Castles roulées qu’ils avaient extorquées. Kobayashi jouait de l’harmonica accroupi sous des festons de grands carthames et d’ipomées à fleurs rouges, il avait fini de jouer deux airs quand, boum, il s’écroula, les quatre fers en l’air, les membres tout raides, une flèche empoisonnée était plantée dans son cou, il était toujours dans la position du joueur d’harmonica. Les soldats mitraillèrent à l’aveuglette avec leurs Arisaka 92, puis quittèrent les lieux en hâte, quand ils revinrent, la tête de Kobayashi avait été tranchée, et l’harmonica avait disparu on ne sait où.
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Ce soir-là au crépuscule, quand Kwan A-hung se pendit sous le jaquier, un feu de plaine tournoyait dans les chaumes, une brume sale et poisseuse se répandit sur la campagne et engloutit la moitié de Krokop, le Bouk aux Sangliers. Un soleil rougeoyant flottait, strié par les vapeurs et les fumées, tel un banc de carpes dorées. Des éperviers bleus aux ailes de braises ardentes, qu’illuminaient les flammes élancées vers le ciel, volaient bas en cercle et fondaient sur leurs proies en fuite dans l’océan de feu. Les plaintes de dizaines d’oiseaux s’élevaient des bosquets, les plus sonores, les plus affligées d’entre elles étaient celles des grands coucals, immobiles au bout des branches ou recroquevillés sur le sol, ils regardaient brûler leurs nitées tout juste sorties de l’œuf ou en âge de s’envoler.
Les villageois allaient et venaient entre leurs champs, leurs vergers, leurs poulaillers, sans prêter la moindre attention au feu ni à ses lugubres hurlements, mais un vent de sud-ouest s’abattit sur le village et, en un rien de temps, la fumée ennassa les récoltes ainsi qu’une centaine de maisons sur pilotis, dans la panique ils prirent la fuite, la peur s’empara du bétail et des basses-cours, même les dîners eurent une odeur de brûlé. Les enfants du village exultèrent, retenant entre leurs doigts la bande de tissu de leur lance-pierre, tenant dans l’autre main le manche taché de sang d’oiseau, ils bandaient l’élastique puis tiraient sur les volatiles fuyant l’incendie, sur les roussettes et les éperviers qui planaient bas avec arrogance. Les roussettes dont la membrane d’une aile avait été trouée par les gamins gisaient à leurs pieds, faces de renard écarlates toutes pleines de poils, aux grandes oreilles, elles poussaient vers eux des cris de rage terribles.
Certaines pierres lancées par les enfants dégringolèrent sur la tôle zinguée des toits des maisons dans un tintamarre strident et cristallin. Les villageois croyaient dur comme fer que ces pierres tombées du ciel sur leurs habitations n’attisaient rien de moins que la colère divine, appelaient les calamités, mais leurs sermons n’ébranlèrent nullement l’humeur taquine des garnements et leur instinct meurtrier.
Quand les fumées qui enveloppaient le domaine de Kwan A-hung se furent peu à peu dissipées, les gosses traversèrent la clôture et virent son corps sous le jaquier.
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Les feuilles poussaient des soupirs contents de dormeur ,très agréables à l'oreille.La mue d'un boa flottait dessus comme une brume ,qui paraissait devoir se dissiper à tout moment dans les airs.Tsing-Lian la piétina avec force et la mit en morceaux, de la peau sortit un mystérieux rire plein d'étoiles et de clair de lune.
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