Extrait des jours blancs lus par Marie-Noël Arras
"La mort est une morsure. Elle murmure: rien ne dure, rien ne dure. Elle nous dit l'essentiel survivant. Aucun mot ne l'enferme. Aucun sens ne la tient. La mort réinvente le lointain de nous."
« J’aurais pu t’écrire une nuit d’orage, déchirée de pluie, d’odeur de terre trempée. Et c’est ce jour que j’ai choisi. Un jour blanc d’avant l’été.
J’ouvre les volets en refermant les yeux. Je pense à tout. A rien .Alors je pense à toi.
J’écris sur ta présence. J’écris sur ton absence. J’écris sur ta présence absente. C’est ainsi lorsqu’on est disparu.
"Ta mort décompose ton vivant. Elle recompose mon présent. Dans la blancheur de l'ombre, des reflets éphémères, je t'écris comme on va dans le noir rencontrer la lumière."
Je m’appelle Anah. Prénom de femme que l’on a choisi pour moi. On, ma mère, mon père. Je suis cet héritage, une lignée. Celle qu’un jour on a désignée.
De Tafraout où je suis née, j’ai gardé la matière, le pisé. Ville de pentes sortant du roc. Mon enfance m’a modelée, aiguisant mon regard aux angles des rues. Elle m’a appris le presque rien possédé. Le puits, la maison de terre, les tapis à secouer, les mains rougies dans l’eau, le linge, le linge toujours, la voix de ma mère, est-ce possible d’avoir tant d’enfants, le savon qu’elle faisait, les champs cultivés. Sol aride, repas de peu.
J’ai grandi dans le pas grand-chose et pourtant souveraine. Souveraine du regard de ma mère. Le noir qui éclaire. Mes yeux bleus, hérités d’un grand-oncle. Yeux de rivière disait mon père.
J’ai grandi dans l’enclos vaste, aimant, de leur regard.
Jours rougeoyants, brasier de cet automne, entrée dans un hiver de feu. Nous nous quittions brûlés des flammes léchant nos désirs durcis, les recoins cachés du volcan en nous. Nous nous retrouvions peureux,
heureux de nos embrasements.
Je retrouvais avec Luc l’espace vierge des premières fois, comme ces microscopiques îles dont on redécouvre le nom sur les cartes du monde, Fidji, Cook, Tobago Cays. Première approche, premier regard, première danse des lèvres, saveur contre mes dents, ma nuque, lignes aiguisée et lobes de mon corps, fruit de la langue, prendre, laisser, reprendre le fruit.
Je n’écris pas pour raconter l’histoire. J’écris sans histoire. J’écris comme on respire. Comme on vit la vie. J’écris le recueil de l’enfance. De l’amour tendre. De ce qui vit dans ton absence.