Le 17 mars 2020, devant la menace que fait peser le Coronavirus sur la santé de la population, la France entre en confinement. Aux premiers instants de stupeur succède rapidement un très large consentement à respecter une mesure pourtant inédite, perturbante et à bien des égards hors norme. Du jour au lendemain, la vie se déplace des espaces publics et de travail vers les espaces privés. L’activité économique connaît un ralentissement brutal. Les frontières se referment, tandis que les transports collectifs s’arrêtent. Tous les soirs, le pays suit la situation dans les hôpitaux publics, placés en première ligne de ce qu’Emmanuel Macron a qualifié le 12 mars au soir de « guerre contre un virus ».
Ce qui surprend dans ce basculement, outre son ampleur et sa rapidité, c’est son caractère apparemment inévitable. Rares sont les voix qui s’élèvent alors pour contester la mesure ou en suggérer d’autres, moins radicales. À l’heure où nous écrivons ces lignes, elle semble encore faire largement consensus. Et si certains aujourd’hui regrettent son caractère uniforme, sans aucune forme d’ajustement à des situations individuelles ou locales, ils admettent volontiers qu’au vu des données qui étaient alors disponibles, ils auraient probablement pris la même décision. Bref, alors que la gestion de la crise fait l’objet de nombreuses critiques et de plaintes en justice, la décision de confiner qui est pourtant au cœur de l’action de l’État durant la pandémie de Coronavirus n’est guère (ou pas encore) remise en cause.
Non seulement les politiques inspirées par les sciences sociales sont decriées (voir par exemple les débats sur l’école ou la délinquance), mais on reproche à la sociologie en particulier de « justifier » les crimes, le terrorisme et autres maux sociaux, du fait de son approche. Les approches comportementales se proposent de remplacer auprès des gouvernants ces savoirs accusés d’avoir conduit à des politiques trop coûteuses, inefficaces, trop longues à produire leurs effets et qui sont souvent jugées trop contraignantes pour les entreprises. Un débat de ce type agite depuis longtemps la psychiatrie, opposant l’approche psychanalytique et l’approche comportementaliste : la première juge que la seconde ne traite que les symptômes et non le « mal profond ».
Selon un récit mis en avant par les pouvoirs publics et leurs experts scientifiques, c’est la prise de conscience début mars de l’arrivée imminente d’une « vague » de patients déferlant sur des hôpitaux ne disposant que d’un nombre limité de places, jointe à un nombre insuffisant de masques et de réactifs pour les tests diagnostiques, qui conduit à la décision de confiner l’ensemble de la population. Si ce récit admet, implicitement du moins, que la France n’était pas prête à affronter une telle pandémie, il suggère aussi, pour reprendre les termes du président du Conseil scientifique (créé le 10 mars par le président de la République – voir chapitre 2), que le confinement était, non pas « la meilleure solution mais la seule possible à l’époque ».
Le comportementalisme a pour effet de ne pas changer les structures profondes et, comme l'ont montré de longue date les travaux de psychologie, peut voir son effet s'étioler dans le temps : un nudge ludique poussera les personnes à trier leurs déchets, à marcher davantage, à limiter leur vitesse, à réduire leur temps sous la douche tant que le procédé les amusera. Dès qu'elles en seront lassées, le risque est grand qu'elles reprendront leurs habitudes antérieures.
L'emblème de ces formes d'orientations douces est le "nudge" (en anglais, nudge signifie "pousser du coude"), qui recouvre des dispositifs destinés à guider les comportements vers des options privilégiées par des "nudgeurs", par exemple en pré-cochant par défaut des options dans une interface informatique, ou en réaménageant l'espace, comme sur les présentoirs des cantines où les plats de légumes sont présentes au premier plan et les assiettes de frites au dernier. Les individus sont ainsi incités à adopter un comportement favorable à la résolution de problèmes collectifs, par exemple l'obésité, sans même y réfléchir ni avoir besoin d'en comprendre les enjeux.
Alors qu’il existe des plans dédiés à des situations pandémiques qui proposent tout un arsenal de mesures, comment en vient-on à adopter une solution qui n’y figure pas et qui n’a même jamais été envisagée (...) ?