AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Klasina


Un amour violent, une mélancolie profonde envahissent notre âme : ce sont mille éléments divers qui se fondent, qui se pénètrent, sans contours précis, sans la moindre tendance à s'extérioriser les uns par rapport aux autres ; leur originalité est à ce prix. Déjà ils se déforment quand nous démêlons dans leur masse confuse dans une multiplicité numérique : que sera-ce quand nous les déploierons isolés les uns des autres, dans ce milieu homogène qu'on appelera maintenant, comme on voudra, temps ou espace ? Tout à l'heure chacun d'eux empruntait une indéfinissable coloration au milieu où il était placé : le voici décoloré, et tout prêt à recevoir un nom. Le sentiment lui-même est un être qui vit, qui se développe, qui change par conséquent sans cesse; sinon, on ne comprendrait pas qu'il nous acheminât peu à peu à une résolution : notre résolution serait immédiatement prise. Mais il vit parce que la durée où il se développe est une durée dont les moments se pénètrent : en séparant ces moments les uns des autres, en déroulant le temps dans l'espace, nous avons fait perdre à ce sentiment son animation et sa couleur. Nous voici donc en présence de l'ombre de nous-mêmes : nous croyons avoir analysé notre sentiment, nous lui avons susbstitué en réalité une juxtaposition d'états inertes, traduisibles en mots, et qui constituent chacun l'élément commun, le résidu par conséquent impersonnel, des impressions ressenties dans un cas donné par la société entière. Et c’est pourquoi nous raisonnons sur ces états et leur appliquons notre logique simple : les ayant érigés en genres par cela seul que nous les isolions les uns des autres, nous les avons préparés pour servir à une déduction future. Que si maintenant quelque romancier hardi, déchirant la toile habilement tissée de notre moi conven­tionnel, nous montre sous cette logique apparente une absurdité fondamentale, sous cette juxtaposition d’états simples une pénétration infinie de mille impressions diverses qui ont déjà cessé d’être au moment où on les nomme, nous le louons de nous avoir mieux connus que nous ne nous connaissions nous-mêmes. Il n’en est rien cependant, et par cela même qu’il déroule notre sentiment dans un temps homogène et en exprime les éléments par des mots, il ne nous en présente qu’une ombre à son tour : seulement, il a disposé cette ombre de manière à nous faire soupçonner la nature extraordinaire et illogique de l’objet qui la projette ; il nous a invités à la réflexion en mettant dans l’expression extérieure quelque chose de cette contradiction, de cette péné­tration mutuelle, qui constitue l’essence même des éléments exprimés. Encouragés par lui, nous avons écarté pour un instant le voile que nous interposions entre notre conscience et nous. Il nous a remis en présence de nous-mêmes.
Commenter  J’apprécie          30





Ont apprécié cette citation (2)voir plus




{* *}