[...] les moineaux qui venaient becqueter la pâtée gelée des poules. Cette pâtée que le grand-père dégelait en y jetant une chopine de vin chaud, pour contempler ensuite les poules saoules tituber sur la glace en hoquetant et en grommelant les pires injures, au grand scandale de ma grand-mère qui y voyait péché.
Le tableau de cette basse-cour en ribote devant le grand-père riant aux éclats mérite qu'on en parle. Il s'esclaffait en me bourrant de coups de coude :
— Regarde la grande jaune ! La charogne ! Regarde comme elle ferme les yeux de plaisir !
Et les poulailles ivres s'affalaient en gloussant pour gagner la genière où elles s'endormaient.
— Elles aiment ça ! marche ! Elles aiment ça ! disait le Vieux.
Dans la nuit, on entendait un grand tintamarre de ce côté-là, comme si le renard y était venu en visite. Ma grand-mère y courait avec le falot et revenait en disant :
— Non, Joseph, ce n'est pas raisonnable de mettre ces pauvres bêtes dans cet état : les voilà qui rendent partout !
J'entendais le Vieux rire dans ses draps, car il se couvrait même la tête, en disant :
— N'aie pas peur et garde-moi les œufs qu'elles vont faire demain matin. Ça fera une fameuse omelette, que tu n'auras pas besoin de beaucoup de feu pour la faire cuire !
Chose bizarre : les lendemains de cuite, bien que ce ne fût pas le temps de la ponte, toutes nos poules pondaient et l'on faisait l'omelette avec ces œufs issus du péché d'ivrognerie.